Diégèse




mercredi 13 août 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Battu de ce côté, Macquart n'avait plus qu'à sonder les enfants de sa sœur Ursule.
Ursule était morte en
1839, réalisant ainsi la sinistre prophétie de son frère. Les névroses de sa mère s'étaient changées chez elle en une phtisie lente qui l'avait peu à peu consumée. Elle laissait trois enfants : une fille de dix-huit ans, Hélène, mariée à un employé, et deux garçons, le fils aîné, François, jeune homme de vingt-trois ans, et le dernier venu, pauvre créature à peine âgée de six ans, qui se nommait Silvère. La mort de sa femme, qu'il adorait, fut pour Mouret un coup de foudre. Il se traîna une année, ne s'occupant plus de ses affaires, perdant l'argent qu'il avait amassé. Puis, un matin, on le trouva pendu dans un cabinet où étaient encore accrochées les robes d'Ursule. Son fils aîné, auquel il avait pu faire donner une bonne instruction commerciale, entra, à titre de commis, chez son oncle Rougon, où il remplaça Aristide qui venait de quitter la maison.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Aussi éloignés les Rougon et les Macquart pussent-ils être des anciennes traditions familiales, qu'ils en gardaient pourtant quelques-unes et parmi les plus antiques. En accueillant François dans son commerce, il avait renoué, sans le savoir et même malgré lui, avec cette coutume qui veut que l'on préfère travailler avec ses proches qu'avec des étrangers. Il s'agissait bien sûr uniquement d'un intérêt bien compris. En choisissant comme employé un allié, un cousin ou un neveu, fût-il issu d'une demi-sœur, on s'assurait d'avoir sur cet employé d'autres moyens de pression que la loi de l'État. Mais, de la même façon, on se privait de cette même loi, car, s'il était considéré comme plus difficile pour un neveu de voler son oncle mais aussi son patron, il était plus difficile pour ce patron, qui était aussi un oncle, de porter plainte à la gendarmerie contre son employé, qui était aussi son neveu. C'est ainsi que se superposent les lois de la famille et les lois écrites, l'honneur et la crainte.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Rougon, malgré sa haine profonde pour les Macquart, accueillit très volontiers son neveu, qu'il savait laborieux et sobre. Il sentait le besoin d'un garçon dévoué qui l'aidât à relever ses affaires. D'ailleurs, pendant la prospérité des Mouret, il avait éprouvé une grande estime pour ce ménage qui gagnait de l'argent, et du coup il s'était raccommodé avec sa sœur. Peut-être aussi voulait-il, en acceptant François comme employé, lui offrir une compensation ; il avait dépouillé la mère, il s'évitait tout remords en donnant du travail au fils ; les fripons ont de ces calculs d'honnêteté. Ce fut pour lui une bonne affaire. Il trouva chez son neveu l'aide qu'il cherchait. Si, à cette époque, la maison Rougon ne fit pas fortune, on ne put en accuser ce garçon paisible et méticuleux, qui semblait né pour passer sa vie derrière un comptoir d'épicier, entre une jarre d'huile et un paquet de morue sèche. Bien qu'il eût une grande ressemblance physique avec sa mère, il tenait de son père un cerveau étroit et juste, aimant d'instinct la vie réglée, les calculs certains du petit commerce. Trois mois après son entrée chez lui, Pierre, continuant son système de compensation, lui donna en mariage Marthe, sa fille cadette, dont il ne savait comment se débarrasser. Les deux jeunes gens s'étaient aimés tout d'un coup, en quelques jours. Une circonstance singulière avait sans doute déterminé et grandi leur tendresse : ils se ressemblaient étonnamment, d'une ressemblance étroite de frère et de sœur. François, par Ursule, avait le visage d'Adélaïde, l'aïeule. Le cas de Marthe était plus curieux, elle était également tout le portrait d'Adélaïde, bien que Pierre Rougon n'eût aucun trait de sa mère nettement accusé  ; la ressemblance physique avait ici sauté par-dessus Pierre, pour reparaître chez sa fille, avec plus d'énergie. D'ailleurs, la fraternité des jeunes époux s'arrêtait au visage ; si l'on retrouvait dans François le digne fils du chapelier Mouret, rangé et un peu lourd de sang, Marthe avait l'effarement, le détraquement intérieur de sa grand-mère, dont elle était à distance l'étrange et exacte reproduction. Peut-être fut-ce à la fois leur ressemblance physique et leur dissemblance morale qui les jetèrent aux bras l'un de l'autre. De 1840 à 1844, ils eurent trois enfants. François resta chez son oncle jusqu'au jour où celui-ci se retira. Pierre voulait lui céder son fonds, mais le jeune homme savait à quoi s'en tenir sur les chances de fortune que le commerce présentait à Plassans ; il refusa et alla s'établir à Marseille, avec ses quelques économies.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Pour le jeune ménage, et pour François en particulier, s'établir à Marseille devait éloigner le guignon de Félicité, le péché de la naissance de sa défunte mère, l'avarice sans imagination de son oncle. Issu d'une Macquart, il épousait une Rougon, tentant peut-être, sans en avoir la conscience, une réconciliation entre les deux branches nées d'Adélaïde et qui, de par les circonstances que l'on connaît, étaient irréconciliables. C'était de surcroit, une manière assez efficace de narguer son oncle Antoine et de lui signifier ainsi qu'il n'avait aucune considération pour sa personne et n'entendait avoir avec lui aucun commerce. Mais, surtout, il savait confusément que la  concorde des deux sangs ne saurait advenir dans la ville de Plassans, qui ne saurait être à jamais que le théâtre de leur discorde. Marseille aurait pu être pour lui la ville de la tristesse, qui avait vu mourir sa mère et se tuer son père inconsolable. Peu importait. C'était aussi pour lui, la ville de l'amour, de la confiance, de ce brassage incessant qui fait le caractère de la ville. On ne garde pas longtemps à Marseille la mémoire des déconvenues de la vie et on ne fait pas porter aux enfants les errances de leurs parents ou, pire, de leur parentèle. Il semble que depuis leur création, Plassans et Marseille soient opposées en tout et que cette opposition soit le ferment de l'histoire de la France. Marseille la maritime et Plassans la continentale n'ont ni la même vision du monde, ni la même morale. Marseille pardonnera là où Plassans condamnera et Marseille condamnera là où Plassans fermera les yeux. Né marseillais François sentait tout cela, et il savait que s'il retournait dans le quartier de son enfance, il n'y reconnaîtrait rien, que tous les voisins auraient changé et que quelque vieillard resté là peut-être se rappellerait le chapelier et son épouse qui était si gentille sans se souvenir d'aucun drame ni pouvoir dire s'ils étaient morts ou partis s'installer dans une autre ville. Et c'est là un des autres secrets de Marseille que de ne rien vouloir savoir de trop précis sur la vie de ses voisins, que l'on salue, avec qui l'on plaisante sur le temps ou sur la pêche mais que l'on n'interroge jamais davantage. Le précepte du Marseillais, comme celui du Corse est d'en savoir le moins possible sur ceux qui ne sont pas de la famille, afin de ne jamais être tenté d'en dire trop, ni soupçonné ou accusé d'en avoir trop dit.
François et sa jeune femme qui lui ressemblait tant s'établirent cependant dans un autre quartier de Marseille que celui que les Mouret avaient habité.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Macquart dut vite renoncer à entraîner dans sa campagne contre les Rougon ce gros garçon laborieux, qu'il traitait d'avare et de sournois, par une rancune de fainéant. Mais il crut découvrir le complice qu'il cherchait dans le second fils Mouret, Silvère, un enfant âgé de quinze ans. Lorsqu'on trouva Mouret pendu dans les jupes de sa femme, le petit Silvère n'allait pas même encore à l'école. Son frère aîné, ne sachant que faire de ce pauvre être, l'emmena avec lui chez son oncle. Celui-ci fit la grimace en voyant arriver l'enfant ; il n'entendait pas pousser ses compensations jusqu'à nourrir une bouche inutile. Silvère, que Félicité prit également en grippe, grandissait dans les larmes, comme un malheureux abandonné, lorsque sa grand-mère, dans une des rares visites qu'elle faisait aux Rougon, eut pitié de lui et demanda à l'emmener. Pierre fut ravi ; il laissa partir l'enfant, sans même parler d'augmenter la faible pension qu'il servait à Adélaïde, et qui désormais devrait suffire pour deux.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Au travers des brumes qui lui encombraient l'esprit, l'aïeule cherchait elle aussi une réconciliation. Savait-elle qu'elle avait laissé Antoine et Ursule vagabonder et se perdre alors qu'elle aurait dû chérir ces enfants qui étaient les enfants de l'amour. En prenant auprès d'elle le dernier né de ses petits enfants, elle retrouvait le Macquart qu'elle avait aimé, ce conteur infatigable des chemins qui mènent vers l'Italie, cet homme aux mille aventures qui la faisait rire et fondre son cœur. Il lui arrivait encore, dans le secret de sa chambre, de pleurer à son souvenir. Silvère allait concentrer sur lui toute cette attente et toute cette mémoire, qui était une mémoire digne, un alliage de bravoure et de mépris du danger, une mémoire de fidélité et d'amour, une mémoire qui se moquait de ce que disent le voisinage. Silvère allait hériter de tout ce que Macquart avait de noble quand Antoine semblait avoir fait croître en lui tout ce qu'il avait de tordu et de faisandé. C'est ainsi que se forgent certains destins.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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