Diégèse | |||||||||
jeudi 21 août 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Macquart, malgré l'inutilité de ses efforts, ne se découragea pas. Il se dit qu'il suffirait seul à étrangler les Rougon, s'il pouvait jamais les tenir dans un petit coin. Ses rages de fainéant envieux et affamé s'accrurent encore, à la suite d'accidents successifs qui l'obligèrent à se remettre au travail. Vers les premiers jours de l'année 1850, Fine mourut presque subitement d'une fluxion de poitrine, qu'elle avait prise en allant laver un soir le linge de la famille à la Viorne, et en le rapportant mouillé sur son dos ; elle était rentrée trempée d'eau et de sueur, écrasée par ce fardeau qui pesait un poids énorme, et ne s'était plus relevée. Cette mort consterna Macquart. Son revenu le plus assuré lui échappait. Quand il vendit, au bout de quelques jours, le chaudron dans lequel sa femme faisait bouillir ses châtaignes et le chevalet qui lui servait à rempailler ses vieilles chaises, il accusa grossièrement le bon Dieu de lui avoir pris la défunte, cette forte commère dont il avait eu honte et dont il sentait à cette heure tout le prix. Il se rabattit sur le gain de ses enfants avec plus d'avidité. Mais, un mois plus tard, Gervaise, lasse de ses continuelles exigences, s'en alla avec ses deux enfants et Lantier, dont la mère était morte. Les amants se réfugièrent à Paris. Antoine, atterré, s'emporta ignoblement contre sa fille, en lui souhaitant de crever à l'hôpital, comme ses pareilles. Ce débordement d'injures n'améliora pas sa situation qui, décidément, devenait mauvaise. Jean suivit bientôt l'exemple de sa sœur. Il attendit un jour de paie et s'arrangea de façon à toucher lui-même son argent. Il dit en partant à un de ses amis, qui le répéta à Antoine, qu'il ne voulait plus nourrir son fainéant de père, et que si ce dernier s'avisait de le faire ramener par les gendarmes, il était décidé à ne plus toucher une scie ni un rabot. |
Émile Zola 1870
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La preuve était ainsi faite
que le ciment véritable de la
famille était Joséphine Gavaudan, dite Fine. C'est autour de sa tombe
que la famille s'était trouvée réunie pour la dernière fois. C'était
une tombe pauvre dans le plus mauvais quartier du cimetière nouveau de
Plassans car, même dans la mort, les classes sociales gardent leur
rang. Jean avait trouvé un de ses compagnons graveur de pierre pour
écrire le nom de sa mère sur sa tombe. Il avait souhaité que ce soit
bien le nom de Gavaudan qui fût gravé sur la tombe. Ses enfants ne
savaient rien, ou presque, de la famille de leur mère. Gavaudan
évoquait bien sûr le pays de la Margeride, au nord-ouest de Plassans, terre aride aux légendes
tenaces où les monstres côtoient les géants.
Peu, alors se souvenaient de l'affaire de la bête du Gévaudan
qui,
près d'un siècle plus tôt, avait empli les gazettes de toute la France
et même du monde entier. Un jour, pourtant, un importun qu'elle avait
rossé lui avait lancé qu'elle était peut-être cette bête revenue sur la
terre. Mais son surnom de Fine avait suffi pour satisfaire ceux qui y
allaient de leur quolibet, tant la finesse ne semblait pas la
qualité
première du physique de la jeune femme. Devant la tombe aux abords encore fraîchement retournés, Gervaise et Jean avaient pleuré. Macquart s'était contenté d'un grommellement à travers lequel ses enfants avaient bien entendu que, même après sa mort, il s'en prenait à elle, lui reprochant de l'avoir abandonné pour ne plus lui rapporter ses maigres gains. C'est cette scène qui avait fini de scandaliser ses enfants qui, dès leur retour du cimetière, commencèrent à imaginer comment abandonner à son sort ce triste personnage avec lequel ils n'auraient auparavant jamais laissé seule leur mère. Jean fut le dernier à partir. |
Daniel Diégèse 2014
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Le lendemain, lorsque
Antoine l'eut cherché
inutilement et qu'il se
trouva seul, sans un sou, dans le logement où, pendant vingt ans, il
s'était fait grassement entretenir, il entra dans une rage atroce,
donnant des coups de pied aux meubles, hurlant les imprécations les
plus monstrueuses. Puis il s'affaissa, il se mit à traîner les pieds, à geindre comme un convalescent. La crainte d'avoir à gagner son pain le rendait positivement malade. Quand Silvère vint le voir, il se plaignit avec des larmes de l'ingratitude des enfants. N'avait-il pas toujours été un bon père ? Jean et Gervaise étaient des monstres qui le récompensaient bien mal de tout ce qu'il avait fait pour eux. Maintenant, ils l'abandonnaient, parce qu'il était vieux et qu'ils ne pouvaient plus rien tirer de lui. « Mais, mon oncle, dit Silvère, vous êtes encore d'un âge à travailler. » Macquart, toussant, se courbant, hocha lugubrement la tête, comme pour dire qu'il ne résisterait pas longtemps à la moindre fatigue. Au moment où son neveu allait se retirer, il lui emprunta dix francs. Il vécut un mois, en portant un à un chez le fripier les vieux effets de ses enfants et en vendant également peu à peu tous les menus objets du ménage. Bientôt il n'eut plus qu'une table, une chaise, son lit et les vêtements qu'il portait. Il finit même par troquer la couchette de noyer contre un simple lit de sangle. Quand il fut à bout de ressources, pleurant de rage, avec la pâleur farouche d'un homme qui se résigne au suicide, il alla chercher le paquet d'osier oublié dans un coin depuis un quart de siècle. En le prenant, il parut soulever une montagne. Et il se remit à tresser des corbeilles et des paniers, accusant le genre humain de son abandon. Ce fut alors surtout qu'il parla de partager avec les riches. Il se montra terrible. Il incendiait de ses discours l'estaminet, où ses regards furibonds lui assuraient un crédit illimité. D'ailleurs, il ne travaillait que lorsqu'il n'avait pu soutirer une pièce de cent sous à Silvère ou à un camarade. Il ne fut plus « monsieur » Macquart, cet ouvrier rasé et endimanché tous les jours, qui jouait au bourgeois ; il redevint le grand diable malpropre qui avait spéculé jadis sur ses haillons. Maintenant qu'il se trouvait presque à chaque marché pour vendre ses corbeilles, Félicité n'osait plus aller à la halle. Il lui fit une fois une scène atroce. Sa haine pour les Rougon croissait avec sa misère. Il jurait, en proférant d'effroyables menaces, de se faire justice lui-même, puisque les riches s'entendaient pour le forcer au travail. |
Émile Zola 1870
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Macquart
avait bien sûr espéré que Silvère remplacerait ses
enfants par
solidarité républicaine et qu'il l'entretiendrait. Silvère, malgré les
sous-entendus grossiers de son oncle n'en fit rien. Certes, ce que le
jeune homme gagnait suffisait à peine à lui permettre de nourrir sa
grand-mère et de subsister lui-même. C'était la raison principal de son
refus, car, Silvère ne se permettait en aucune façon de juger le
comportement de son oncle. Il avait admis, avec le temps, que Macquart
était à ce point déchu par le sort que lui avait fait Pierre Rougon
qu'il méritait, quels que fût son comportement, sa compassion. En cela,
Macquart avait gagné. Mais il avait aussi perdu. Quiconque en effet se
serait ému de voir cet homme vieillissant, veuf, abandonné de ses
enfants, s'enfoncer dans la déchéance et le dénuement. Pour Silvère,
cette descente dans l'enfer de la pauvreté n'était que la confirmation
des fables de son oncle. Il aurait craint, en le secourant, de le faire
mentir. Cependant, l'aversion de Macquart pour le travail était en elle-même une curiosité, et cette curiosité eût suffi à démentir, si cela avait été nécessaire, la sincérité de ses opinions républicaines. En effet, les ouvriers avaient été, à Paris comme dans toute la France, ceux qui avaient fait naître la République après l'Empire et la Restauration, et ces ouvriers n'avaient pour unique fierté sociale que leur travail. C'est cette valeur qui soutenait les jeunes enfants envoyés tôt vers les plus durs des labeurs et c'est par cette valeur que leurs parents supportaient de les y voir souffrir. Mais Macquart, lui, ne voulait pas d'une République des travailleurs, mais bien d'une République de rentiers et de nantis. Pour lui, la République véritable eût servi à chaque homme une rente suffisante pour se vêtir, manger, et surtout boire, et ce, sans travailler. Il n'échafaudait aucune théorie économique pour expliquer comment la production eut été assurée. Il s'en moquait. La pensée politique de Macquart naissait et finissait dans sa lutte fratricide avec les Rougon. L'autre raison pour laquelle Silvère ne secourait pas davantage son oncle était qu'il eût dû pour cela gagner plus d'argent. Ce n'était pas qu'il rechignât au travail, mais il ne voulait pas abandonner ses livres et ses problèmes d'arithmétique. Or, pour gagner davantage il eût fallu consentir à prendre plus de tâches. En somme, pour le travail comme pour toutes les autres choses de sa vie, hormis ses sentiments républicains, Silvère faisait preuve de tempérance. Il n'y avait que l'injustice qui pouvait le faire sortir de son calme et exciter sa sagesse. |
Daniel Diégèse 2014
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