Diégèse | |||||||||
samedi 23 août 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Cependant, Antoine et ses amis sortirent en
hâte du café. Tous les républicains qui n'avaient pas encore quitté la ville se trouvèrent bientôt réunis sur le cours Sauvaire. C'était cette bande que Rougon avait aperçue en courant se cacher chez sa mère. Lorsque la bande fut arrivée à la hauteur de la rue de la Banne, Macquart, qui s'était mis à la queue, fit rester en arrière quatre de ses compagnons, grands gaillards de peu de cervelle qu'il dominait de tous ses bavardages de café. Il leur persuada aisément qu'il fallait arrêter sur-le-champ les ennemis de la République, si l'on voulait éviter les plus grands malheurs. La vérité était qu'il craignait de voir Pierre lui échapper, au milieu du trouble que l'entrée des insurgés allait causer. Les quatre grands gaillards le suivirent avec une docilité exemplaire et vinrent heurter violemment à la porte des Rougon. Dans cette circonstance critique, Félicité fut admirable de courage. Elle descendit ouvrir la porte de la rue. |
Émile Zola 1870
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S'il
ne s'était pas agi
d'une insurrection civile à la suite d'un coup d'État, mais d'une
occupation étrangère à la suite d'une défaite militaire, Macquart, sans
aucun doute, aurait aidé l'ennemi à traquer ceux qui auraient voulu lui
résister, réglant au passage quelque compte sordide. C'est que les
périodes troublées révèlent comme par le grossissement d'une loupe la
véritable nature des personnes. S'agissant de Macquart, rien ne se
révélait, tant ses bavardages incessants le rendaient en tout point
prévisible. C'était là sa faiblesse pour devenir un conspirateur de
talent. Mais, il y en a, tout aussi sales que lui, qui, en de pareilles
circonstances se taisent. Ceux-là sont les plus dangereux. Félicité, quant à elle, était à l'opposé de Macquart. Elle n'avait jamais un mot de trop et taisait entièrement ses desseins. Ce silence forcé, mêlé à des appétits féroces, avait marqué son visage, en creusant les rides profondément. Elle avait ainsi ce qu'il est convenu d'appeler un visage expressif, qui, pour autant, n'exprimait que l'envie. |
Daniel Diégèse 2014
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« Nous voulons monter chez
toi, lui dit brutalement Macquart. – C'est bien, messieurs, montez », répondit-elle avec une politesse ironique, en feignant de ne pas reconnaître son beau-frère. En haut, Macquart lui ordonna d'aller chercher son mari. « Mon mari n'est pas ici, dit-elle de plus en plus calme, il est en voyage pour ses affaires ; il a pris la diligence de Marseille, ce soir à six heures. » Antoine, à cette déclaration faite d'une voix nette, eut un geste de rage. Il entra violemment dans le salon, passa dans la chambre à coucher, bouleversa le lit, regardant derrière les rideaux et sous les meubles. Les quatre grands gaillards l'aidaient. Pendant un quart d'heure, ils fouillèrent l'appartement. Félicité s'était paisiblement assise sur le canapé du salon et s'occupait à renouer les cordons de ses jupes, comme une personne qui vient d'être surprise dans son sommeil, et qui n'a pas eu le temps de se vêtir convenablement. « C'est pourtant vrai, il s'est sauvé, le lâche ! » bégaya Macquart en revenant dans le salon. |
Émile Zola 1870
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Félicité avait le calme de ceux qui avaient prévu ce qui allait se passer et qui en éprouvent, en conséquence, de la satisfaction qui éteignent leurs émotions et, particulièrement, la peur qu'ils pourraient ressentir. Car, quoi qu'il en fût, la situation n'était à ce moment pas à l'avantage de Félicité seule avec un pochard qui la haïssait, flanqué de quatre colosses qui étaient plus habitués à assommer les bêtes de leurs poings qu'à faire la conversation. D'ailleurs, les raisons pour lesquelles ces hommes frustres, qui savaient à peine ce qu'était la République , s'étaient enrôles dans l'insurrection pouvait semblé mystérieuses. Mais, pour eux, l'Empire, c'était le régime de conscription et le temps de guerres incessantes avec toute l'Europe. On leur avait raconté, très tôt, comment des familles avaient été ruinées, conduites à la mendicité, parce que tous les hommes en âge de travailler avaient tiré le mauvais numéro. On leur avait raconté aussi comment les hommes des familles pauvres étaient contraints de se vendre pour faire subsister leur famille en remplaçant quelque bourgeois sous les drapeaux. Ils pensaient, naïfs, que la République, c'était la paix. Macquart, lui, ne craignait plus l'armée. Il avait fait son temps. |
Daniel Diégèse 2014
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Il continua pourtant de
regarder autour de lui d'un air soupçonneux. Il
avait le pressentiment que Pierre ne pouvait avoir abandonné
la partie
au moment décisif. Il s'approcha de Félicité qui bâillait. « Indique-nous l'endroit où ton mari est caché, lui dit-il, et je te promets qu'il ne lui sera fait aucun mal. – Je vous ai dit la vérité, répondit-elle avec impatience. Je ne puis pourtant pas vous livrer mon mari, puisqu'il n'est pas ici. Vous avez regardé partout, n'est-ce pas ? Laissez-moi tranquille maintenant. » Macquart, exaspéré par son sang-froid, allait certainement la battre, lorsqu'un bruit sourd monta de la rue. C'était la colonne des insurgés qui s'engageait dans la rue de la Banne. Il dut quitter le salon jaune, après avoir montré le poing à sa belle-sœur, en la traitant de vieille gueuse et en la menaçant de revenir bientôt. Au bas de l'escalier, il prit à part un des hommes qui l'avait accompagné, un terrassier nommé Cassoute, le plus épais des quatre, et lui ordonna de s'asseoir sur la première marche et de n'en pas bouger jusqu'à nouvel ordre. « Tu viendrais m'avertir, lui dit-il, si tu voyais rentrer la canaille d'en haut. » L'homme s'assit pesamment. Quand il fut sur le trottoir, Macquart, levant les yeux, aperçut Félicité accoudée à une fenêtre du salon jaune et regardant curieusement le défilé des insurgés, comme s'il se fut agi d'un régiment traversant la ville, musique en tête. Cette dernière preuve de tranquillité parfaite l'irrita au point qu'il fut tenté de remonter pour jeter la vieille femme dans la rue. Il suivit la colonne en murmurant d'une voix sourde : « Oui, oui, regarde-nous passer. Nous verrons si demain tu te mettras à ton balcon. » |
Émile Zola 1870
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Macquart
avait la manie des imprécations. Il en usait contre tout
et tous, objets, animaux et personnes. Les objets étaient ses
destinataires privilégiés. Comme il était souvent gris, il se cognait
abondamment et cela provoquait des bordées d'injures, si bien que si
ses meubles avaient pu faire comme ses enfants, on aurait vu tables,
chaises et lit, et jusqu'au seau d'aisance, s'enfuir et faire une
colonne plus courte mais tout aussi volontaire que la colonne des
insurgés. À bien y réfléchir, c'est une manie curieuse que d'insulter
les objets comme s'ils étaient des personnes. C'est une forme
d'entraînement qui laisse parfois pantois celui qui, ayant déversé ses
injures sur une personne la voit répondre tout aussi vertement. C'est
qu'il est si habitué à malmener sa table, qui est toujours sur son
chemin et qui, elle, quoi qu'elle endure, ne lui répond jamais. Dans
les cas les plus prononcés, cette manie d'injurier tout l'entourage
peut conduire à la démence et chacun a croisé, un jour, un homme et une
femme grommelant dans la rue et injuriant contre les nuages. Dans les
cas les plus aigus, seul l'enfermement peut constituer un remède.
Macquart n'en était pas encore à ce stade, mais, l'alcool aidant, on
pouvait, en 1851, considérer qu'il avait des dispositions. Félicité regarda tout le défilé des insurgés. Mais, ce que Macquart avait pris pour de la tranquillité n'en était pas. Félicité était figée et perplexe. C'est qu'elle savait, mieux que quiconque si ce n'était le marquis de Carnavant, que les forces réactionnaires dont le salon jaune constituait le centre de commandement, étaient d'une faiblesse insigne et constatait donc que si les insurgés s'y prenaient bien et étaient assez hardis et bien commandés, ils occuperaient Plassans sans grande difficulté. |
Daniel Diégèse 2014
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23 août | |||||||||
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