Diégèse




mercredi 2 avril 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Rougon mourut presque subitement, quinze mois après son mariage, d'un coup de soleil qu'il reçut, un après-midi, en sarclant un plant de carottes. Une année s'était à peine écoulée que la jeune veuve donna lieu à un scandale inouï ; on sut d'une façon certaine qu'elle avait un amant ; elle ne paraissait pas s'en cacher ; plusieurs personnes affirmaient l'avoir entendue tutoyer publiquement le successeur du pauvre Rougon. Un an de veuvage au plus, et un amant ! Un pareil oubli des convenances parut monstrueux, en dehors de la saine raison. Ce qui rendit le scandale plus éclatant, ce fut l'étrange choix d'Adélaïde. Alors demeurait, au fond de l'impasse Saint-Mittre, dans une masure dont les derrières donnaient sur le terrain des Fouque, un homme mal famé, que l'on désignait d'habitude sous cette locution : « Ce gueux de Macquart.  » Cet homme disparaissait pendant des semaines entières ; puis on le voyait reparaître, un beau soir, les bras vides, les mains dans les poches, flânant ; il sifflait, il semblait revenir d'une petite promenade. Et les femmes, assises sur le seuil de leur porte, disaient en le voyant passer : « Tiens ! ce gueux de Macquart ! il aura caché ses ballots et son fusil dans quelque creux de la Viorne. » La vérité était que Macquart n'avait pas de rentes, et qu'il mangeait et buvait en heureux fainéant, pendant ses courts séjours à la ville. Il buvait surtout avec un entêtement farouche ; seul à une table, au fond d'un cabaret, il s'oubliait chaque soir, les yeux fixés stupidement sur son verre, sans jamais écouter ni regarder autour de lui. Et quand le marchand de vin fermait sa porte, il se retirait d'un pas ferme, la tête plus haute, comme redressé par l'ivresse. « Macquart marche bien droit, il est ivre mort », disait-on en le voyant rentrer. D'ordinaire, lorsqu'il n'avait pas bu, il allait légèrement courbé, évitant les regards des curieux avec une sorte de timidité sauvage.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Mais à mieux y réfléchir, les braves gens auraient tout aussi bien pu louer le pragmatisme d'Adélaïde. Elle avait en effet choisi l'homme disponible le plus près du Jas Meiffren, là où elle habitait. Qu'il fût un gueux mangé par l'alcool, de même que son apparence physique, ou son caractère n'avaient rien à voir à l'affaire. Adélaïde ne pouvait rester seule. Certes, pour s'aliéner cet homme, qui, de fait, était n'importe quel homme, elle avait dû consentir à devenir sa maîtresse. Mais cela n'était pour elle ni un outrage ni un plaisir, mais une forme de nécessité telle qu'elle avait pu l'observer chez les bêtes. Elle ne se posait sur cela pas davantage de questions, comme, de manière générale, elle ne se posait pas de question sur le monde, sur les gens, ni sur le cours des choses. Savait-elle au moins si l'on était en république, sous l'Empire ou encore en monarchie ? Rien n'était moins certain. Comment l'aurait-elle su, d'ailleurs, elle qui ne parlait pas avec le voisinage et qui ne lisait pas ? Adélaïde et Macquart n'avaient aucune part à la société de Plassans et ne participaient pas aux promenades du dimanche sur le cours Sauvaire. Leur vie était en dehors de l'époque. Ils auraient tout aussi pu bien vivre au temps des croisades et de la chevalerie. Les enfants les auraient moqués comme ils les moquaient encore et on aurait fini par prendre leurs pauvres terres pour manque d'allégeance au seigneur. Adélaïde Fouque et Macquart sont de ces gueux, de ces manants, qui n'ont jamais fait l'histoire tout en peuplant le monde de leur descendance prolifique. L'alcool et la folie semblent avoir été créés d'ailleurs pour limiter leur capacité à se reproduire. La rencontre de ces deux êtres perdus ici-bas comme ils l'étaient pour le Ciel ne pouvait se traduire rapidement que par quelques malheurs et par des tragédies. Car, chaque époque sait apporter ses tragédies aux plus pauvres, aux plus oubliés et aux plus nécessiteux de ses contemporains.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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