Diégèse | |||||||||
mardi 29 avril 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Quand Pierre eut les cinquante
mille francs entre les
mains,
il épousa Félicité Puech, dans les délais
strictement nécessaires.
Félicité était une
petite femme noire, comme on en voit en Provence. On eût dit
une de
ces cigales brunes, sèches, stridentes, aux vols brusques, qui se
cognent la
tête dans les amandiers. Maigre, la gorge plate, les épaules pointues,
le
visage en museau de fouine, singulièrement fouillé et accentué, elle
n'avait
pas d'âge ; on lui eût donné quinze ans ou trente ans, bien
qu'elle en eût
en réalité dix-neuf, quatre de moins que son mari. Il y avait une ruse
de
chatte au fond de ses yeux noirs, étroits, pareils à des trous de
vrille. Son
front bas et bombé ; son nez légèrement déprimé à la racine, et
dont les
narines s'évasaient ensuite, fines et frémissantes, comme pour mieux
goûter les
odeurs ; la mince ligne rouge de ses lèvres, la proéminence de son
menton
qui se rattachait aux joues par des creux étranges ; toute cette physionomie de naine futée était comme le masque vivant de l'intrigue, de l'ambition active et envieuse. Avec sa laideur, Félicité avait une grâce à elle, qui la rendait séduisante. On disait d'elle qu'elle était jolie ou laide à volonté. Cela devait dépendre de la façon dont elle nouait ses cheveux, qui étaient superbes ; mais cela dépendait plus encore du sourire triomphant qui illuminait son teint doré, lorsqu'elle croyait l'emporter sur quelqu'un. Née avec une sorte de mauvaise chance, se jugeant mal partagée par la fortune, elle consentait le plus souvent à n'être qu'un laideron. D'ailleurs, elle n'abandonnait pas la lutte : elle s'était promis de faire un jour crever d'envie la ville entière par l'étalage d'un bonheur et d'un luxe insolents. Et si elle avait pu jouer sa vie sur une scène plus vaste, où son esprit délié se fut développé à l'aise, elle aurait à coup sûr réalisé promptement son rêve. Elle était d'une intelligence fort supérieure à celle des filles de sa classe et de son instruction. Les méchantes langues prétendaient que sa mère, morte quelques années après sa naissance, avait, dans les premiers temps de son mariage, été intimement liée avec le marquis de Carnavant, un jeune noble du quartier Saint-Marc. La vérité était que Félicité avait des pieds et des mains de marquise, et qui semblaient ne pas devoir appartenir à la race des travailleurs dont elle descendait. |
Émile Zola 1870
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C'est
ainsi que certains êtres, sans déployer en cela aucun moyen
particulier, font mentir les catégories de la société qui veulent que
l'on reconnaisse un ouvrier parce qu'il aura le physique d'un ouvrier,
un bourgeois pas son embonpoint et une princesse par la finesse de ses
attaches. Les contes et les légendes raffolent de ces histoires de
princesses abandonnées en bas âge, dissimulées des années durant sous
des guenilles et qui sont enfin reconnues pour leur véritable
identité par tel ou tel détail de leur port. La vérité est
certainement toute autre et ce que l'on prend parfois pour un signe
d'ascendance noble chez le plus vil des gueux est le dernier élément de
son corps sauvé de sa prime enfance. Chaque nouveau né a des grâces de
prince et c'est la condition qui lui est faite, dès sa naissance, et
dans les jours et les années qui suivent, qui vont peu à peu, et
parfois très rapidement, déformer son corps et lui donner telle ou
telle mise. Les nobles l'ont bien compris, qui entretiennent leurs
enfants dans la soie et la broderie et qui savent au mieux cacher leurs
traits disgracieux par de multiples artifices. Le bourgeois, de même,
va forcer l'ampleur de son ventre car il sait que ce ventre peut être
le gage de la bonne santé de ses affaires plus que de la sienne-même.
Quant au paysan qui n'a que la force de ses bras à vendre au
propriétaire, il avancera le dos voûté pour bien montrer qu'il ne
rechignera pas à se courber vers la terre. Félicité était de ces femmes de Provence, que l'on trouve aussi en Orient, qui peuvent à la demande et au besoin prendre ou non l'air modeste. C'est qu'il y a dans leur vie des moments où il ne fait pas se faire remarquer afin de ne susciter aucune mauvaise jalousie et des moments, au contraire, où il faut pouvoir exciter l'envie d'un quartier, sinon de toute une ville. La jeune fille à marier sera modeste pour ne pas ruiner son père qui devrait, sans cela, la doter lourdement pour qu'un mari accepte le risque de prendre pour femme une trop jolie fille qui pourrait le ridiculiser. La femme établie pourra laisser paraître ses formes généreuses, prouvant ainsi qu'elle aura fait un bon mariage et que son mari comme elle-même sont prospères. Félicité avait ce don de pouvoir en une seule journée jouer tous les rôles selon qui elle rencontrait. Ses capacités à changer d'âge et de rang en aurait fait, en temps de guerre, une redoutable espionne. |
Daniel Diégèse 2014
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29
avril |
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