Diégèse




lundi 15 décembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Les autorités étaient revenues depuis la veille, dans deux carrioles louées à Sainte-Roure. Leur entrée imprévue n'avait rien eu de triomphal. Rougon rendit au maire son fauteuil sans grande tristesse. Le tour était joué ; il attendait de Paris, avec fièvre, la récompense de son civisme. Le dimanche – il ne l'espérait que pour le lendemain – il reçut une lettre d'Eugène. Félicité avait eu soin, dès le jeudi, d'envoyer à son fils les numéros de la Gazette et de l'Indépendant, qui, dans une seconde édition, avaient raconté la bataille de la nuit et l'arrivée du préfet. Eugène répondait, courrier par courrier, que la nomination de son père à une recette particulière allait être signée ; mais, disait-il, il voulait sur-le-champ lui annoncer une bonne nouvelle : il venait d'obtenir pour lui le ruban de la Légion d'honneur. Félicité pleura. Son mari décoré ! son rêve d'orgueil n'était jamais allé jusque-là. Rougon, pâle de joie, dit qu'il fallait le soir même donner un grand dîner. Il ne comptait plus, il aurait jeté au peuple, par les deux fenêtres du salon jaune, ses dernières pièces de cent sous pour célébrer ce beau jour.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les décorations, en France, et dans beaucoup de pays au monde, sont ce que le pouvoir accorde au peuple pour qu'il soit un bon peuple. Mais il n'y a pas qu'en France que cette pratique perdure. Elle vient sans doute du temps lointain où les guerriers les plus valeureux gagnaient le droit d'arborer des plumes de couleur ou des insignes chamarrés pour que personne, et surtout pas les femmes, ne pût ignorer leur bravoure, leur force et leur vigueur. On inventa plus tard les médailles militaires/ Cependant, au fil du temps, la guerre étrangère se faisant somme toute plus rare et ne touchant qu'une part restreinte de la gente masculine, on inventa la médaille civile et c'est le plus grand militaire qui l'inventa. On se rappelle la phrase de Bonaparte au Conseil d'État : « Je vous défie de me montrer une république, ancienne ou moderne, qui savait se faire sans distinctions. Vous les appelez des hochets, eh bien c'est avec des hochets que l'on mène les hommes. »
Rougon avait donc son hochet, ou il l'aurait bientôt, accordé par la grâce du deuxième Bonaparte qui dirigerait la France.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
« Écoute, dit-il à sa femme, tu inviteras Sicardot : il y a assez longtemps qu'il m'ennuie avec sa rosette, celui-là ! Puis Granoux et Roudier, auxquels je ne suis pas fâché de faire sentir que ce n'est pas leurs gros sous qui leur donneront jamais la croix. Vuillet est un fesse-mathieu, mais le triomphe doit être complet ; préviens-le, ainsi que tout le fretin… J'oubliais, tu iras en personne chercher le marquis ; nous le mettrons à ta droite, il fera très bien à notre table. Tu sais que M. Garçonnet traite le colonel et le préfet. C'est pour me faire comprendre que je ne suis plus rien. Je me moque bien de sa mairie ; elle ne lui rapporte pas un sou ! Il m'a invité, mais je dirai que j'ai du monde, moi aussi. Tu les verras rire jaune demain… Et mets les petits plats dans les grands. Fais tout apporter de l'hôtel de Provence. Il faut enfoncer le dîner du maire. » Félicité se mit en campagne. Pierre, dans son ravissement, éprouvait encore une vague inquiétude. Le coup d'État allait payer ses dettes, son fils Aristide pleurait ses fautes et il se débarrassait enfin de Macquart ; mais il craignait quelque sottise de son fils Pascal, il était surtout très inquiet sur le sort réservé à Silvère, non qu'il le plaignît le moins du monde : il redoutait simplement que l'affaire du gendarme ne vînt devant les assises. Ah ! si une balle intelligente avait pu le délivrer de ce petit scélérat ! Comme sa femme le lui faisait remarquer le matin, les obstacles étaient tombés devant lui ; cette famille qui le déshonorait avait, au dernier moment, travaillé à son élévation ; ses fils, Eugène et Aristide, ces mange-tout, dont il regrettait si amèrement les mois de collège, payaient enfin les intérêts du capital dépensé pour leur instruction. Et il fallait que la pensée de ce misérable Silvère troublât cette heure de triomphe !
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Car, rien ne devait pouvoir détruire l'ordonnancement du monde selon Rougon, qui tournait autour du salon jaune en guise de soleil, où la mairie de Plassans n'était qu'une lune excentrique et où la vie d'un homme innocent, fût-il de sa famille, ne devait en aucun cas pouvoir venir troubler un dîner de gueux servi à des gueux. Le cynisme de Rougon, qui semble révoltant, n'est cependant pas rare et les hommes sont ainsi faits qu'ils servent leurs intérêts avant de servir la justice. Si l'on y réfléchit bien, ce qui est étonnant, ce n'est pas l'égoïsme, car tout, dans les besoins de l'homme pousse à l'égoïsme. Non, ce qui est surprenant et qui ne laisse pas de surprendre à travers les siècles, c'est l'altruisme, la charité, le sacrifice, la générosité... Et c'est parce que l'homme se sent parfois plus grand que lui-même qu'il a inventé une puissance divine qui, seule, pourrait expliquer ces formes de dépassement de sa pauvre condition mortelle. C'est en étant plus grand que soi-même que l'on gagne son Salut, et la vie éternelle. Tous les livres saints de toutes les religions ne disent pas autre chose et la République, laïque, a inventé ses martyrs et ses propres cérémonies aux martyrs, assorties de musique et de monuments pour faire agréer au peuple qu'il existait aussi un paradis des révolutionnaires. Nul doute qu'à l'avenir on n'échappera pas encore à quelque guerre de religion car, quitte à inventer des paradis pour faire que les hommes s'entretuent, autant prendre des paradis qui existent déjà dans des livres et auxquels ont a accoutumé les gens pendant des générations. Y avait-il un paradis pour les Rougon, qui ne rêvaient jamais que d'argent, et encore, pas de fortunes extravagantes mais juste de quoi épater leurs plus proches voisins ? Il ne pouvait y avoir de paradis car de sacrifice il n'y en avait aucun.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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