Diégèse | |||||||||
mardi 16 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Pendant que
Félicité courait
pour le dîner du soir, Pierre apprit
l'arrivée de la troupe et se décida à aller aux renseignements.
Sicardot, qu'il
avait interrogé à son retour, ne savait rien :
Pascal devait
être resté pour soigner les blessés ; quant à
Silvère, il
n'avait pas même été vu du commandant, qui le
connaissait peu. Rougon
se rendit au faubourg, se promettant de remettre à
Macquart, par
la
même occasion, les huit cents francs qu'il venait
seulement de réaliser
à grand-peine. Mais lorsqu'il fut dans la cohue du campement, qu'il vit
de loin les prisonniers, assis en longues files sur les poutres de
l'aire Saint-Mittre, et
gardés par
des soldats, le fusil au poing, il
eut peur de se compromettre, il fila sournoisement chez sa mère, avec
l'intention d'envoyer la vieille femme chercher des nouvelles. Quand il entra dans la masure, la nuit était presque tombée. Il ne vit d'abord que Macquart, fumant et buvant des petits verres. « C'est toi ? ce n'est pas malheureux, murmura Antoine, qui s'était remis à tutoyer son frère. Je me fais diablement vieux ici. As-tu l'argent ? » Mais Pierre ne répondit pas. Il venait d'apercevoir son fils Pascal, penché au-dessus du lit. Il l'interrogea vivement. Le médecin, surpris de ses inquiétudes, qu'il attribua d'abord à ses tendresses de père, lui répondit avec tranquillité que les soldats l'avaient pris et qu'ils l'auraient fusillé, sans l'intervention d'un brave homme qu'il ne connaissait point. Sauvé par son titre de docteur, il était revenu avec la troupe. Ce fut un grand soulagement pour Rougon. Encore un qui ne le compromettrait pas, Il témoignait sa joie par des poignées de main répétées, lorsque Pascal termina, en disant d'une voix triste : « Ne vous réjouissez pas. Je viens de trouver ma pauvre grand-mère au plus mal. Je lui rapportais cette carabine, à laquelle elle tient ; et, voyez, elle était là, elle n'a plus bougé. » Les yeux de Pierre s'habituaient à l'obscurité. Alors, dans les dernières lueurs qui traînaient, il vit tante Dide, roide, morte, sur le lit. Ce pauvre corps, que des névroses détraquaient depuis le berceau, était vaincu par une crise suprême. Les nerfs avaient comme mangé le sang ; le sourd travail de cette chair ardente, s'épuisant, se dévorant elle même dans une tardive chasteté, s'achevait, faisait de la malheureuse un cadavre que des secousses électriques seules galvanisaient encore. À cette heure, une douleur atroce semblait avoir hâté la lente décomposition de son être. Sa pâleur de nonne, de femme amollie par l'ombre et les renoncements du cloître, se tachait de plaques rouges. Le visage convulsé, les yeux horriblement ouverts, les mains retournées et tordues, elle s'allongeait dans ses jupes, qui dessinaient en lignes sèches les maigreurs de ses membres. Et, serrant les lèvres, elle mettait, au fond de la pièce noire, l'horreur d'une agonie muette. |
Émile Zola 1870
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Voir
une personne aux portes de la mort et constater sur son corps, non plus
les seuls ravages du temps, mais la crispation morbide de tout
l'organisme, renvoie nécessairement à sa propre mort à venir, au
sentiment vrai qu'elle est déjà engagée depuis la naissance. Mais cela
met en outre le spectateur en relation avec la mort en tant que concept
et il se trouve alors face à la vanité du monde. Il fallait tout
l'égoïsme et toute l'inconscience de Macquart, accentués par son goût
pour l'alcool et les petits verres, pour ne point veiller cette femme,
qui était sa mère, et qui agonisait près de lui. Macquart semblait
considérer qu'il était bien suffisant que son neveu, qui était médecin,
s'en occupât et qu'il n'avait besoin en aucune manière de feindre de
l'intérêt pour la crise de la vieille. Il était vrai que l'indifférence
réciproque avait toujours présidé à leur relation et qu'aucune
tendresse n'était jamais venu mettre à mal cette froideur, et ce,
depuis l'enfance. Macquart se souvenait des retours inopinés de son
contrebandier de père alors qu'il était encore tout petit enfant. Il
était heureux du retour de celui qu'il savait être son père et qu'il
voulait fêter comme le font tous les enfants au retour d'un être cher.
Mais Macquart le regardait à peine, l'écartant de son chemin sans
ménagement pour son jeune âge. Sa mère, qui se précipitait aux devant
de son amant, n'avait pour lui pas plus de délicatesse et manquait à
chaque fois de le renverser s'il ne s'écartait pas assez vite. Ensuite,
les deux amants s'enfermaient dans la masure laissant les enfants à
eux-mêmes pendant de longues heures. Pierre, déjà taciturne, se mettait
dans un coin et attendait placidement que le temps passât. Macquart
cherchait lui quelque bêtise à faire et, comme il ne manquait en la
matière jamais d'imagination, trouvait toujours à se venger sur un chat
qui passait, qu'il cherchait à atteindre avec des pierres, ou, à
défaut, des insectes à martyriser. Le temps passait ainsi, et Macquart
repartait, et Adélaïde recommençait à l'attendre, ne prêtant attention
à ses enfants que pour les nourrir d'un mauvais brouet préparé sans
amour ni considération. Très tôt, Antoine avait commencé à boire en
cachette et il avait à peine dix ans qu'il connaissait déjà bien le
goût des petits verres, et plusieurs fois, sa mère l'avait surpris
titubant, empestant l'alcool. Elle le battait alors rudement pour lui
faire passer l'envie de recommencer, ce qui, sur une nature comme celle
d'Antoine, privée d'amour comme on prive d'eau une plante en pot,
n'avait aucun autre effet que celui de lui donner envie de recommencer
aussi tôt que possible, ce qu'il faisait évidemment. Cette famille réunie ce soir-là dans cette masure obscure pouvait faire douter de l'humanité toute entière et tante Dide avait raison de dire qu'elle avait fait des loups. Seul Pascal pouvait encore faire croire à la rédemption de l'homme, lui qui était toute humanité par une sorte de grâce et de mystère. |
Daniel Diégèse 2014
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16 décembre | |||||||||
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