Diégèse




jeudi 18 décembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Pendant ce temps, Macquart demanda de nouveau à son frère :
« As-tu l'argent ?
– Oui, je l'apporte, nous allons terminer », répondit
Rougon, heureux de cette diversion.
Alors Macquart, voyant qu'il allait être payé, se mit à geindre. Il avait compris trop tard les conséquences de sa trahison ; sans cela, il aurait exigé une somme deux et trois fois plus forte. Et il se plaignait. Vraiment, mille francs, ce n'était pas assez. Ses enfants l'avaient abandonné, il se trouvait seul au monde, obligé de quitter la France. Peu s'en fallut qu'il ne pleurât en parlant de son exil.
« Voyons, voulez-vous les huit cents
francs ? dit Rougon, qui avait hâte de s'en aller.
– Non, vrai, double la somme. Ta femme m'a filouté. Si elle m'avait carrément dit ce qu'elle attendait de moi, jamais je ne me serais compromis de la sorte pour si peu de chose. »
Rougon aligna les huit cents francs en or sur la table.
« Je
vous jure que je n'ai pas davantage, reprit-il. Je songerai à vous plus tard. Mais, par grâce, partez dès ce soir. » Macquart, maugréant, mâchant des lamentations sourdes, porta la table devant la fenêtre, et se mit à compter les pièces d'or, à la lueur mourante du crépuscule. Il faisait tomber de haut les pièces, qui lui chatouillaient délicieusement le bout des doigts, et dont le tintement emplissait l'ombre d'une musique claire. Il s'interrompit un instant pour dire :
« Tu m'as fait promettre une place, souviens-toi. Je veux rentrer en
France… Une place de garde champêtre ne me déplairait pas, dans un bon pays que je choisirais…
– Oui, oui, c'est convenu, répondit
Rougon. Avez-vous bien huit cents francs ? » Macquart se remit à compter.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
C'était que la pauvre tête embrumée de Macquart faisait un faux calcul. Il gardait en mémoire, de façon très précise, cette impression cruelle qu'au moment décisif, son frère l'avait visé et avait tenté par conséquent  de le tuer. C'était donc cela qu'il lui réclamait plus ou moins confusément : le prix de son sang qu'il n'avait cependant pas versé. Mais Macquart se trompait. Non que Rougon eût des scrupules à se débarrasser définitivement de son frère, qui n'était pour lui qu'un bâtard malfaisant, mais, il savait, tout aussi confusément, que s'il avait tué son frère aussi publiquement que cette nuit-là, sous le porche, au milieu de Républicains conduits à la mort, le récit de cette nuit fatale eût pu en être définitivement modifié. Car les mythologies aiment les histoires où les frères s'entretuent, mais, par un curieux effet de l'âme humaine, finissent, avec le temps, toujours par donner raison à celui qui est mort contre celui qui a tué et ce, quel que soit le crime que le défunt ait pu commettre. C'est ainsi depuis Abel et Caïn, et le fait qu'Abel fût innocent de tout crime ne change rien à l'affaire. De grands criminels tués par leur frère deviennent un jour ou l'autre des Abel face à leur frère meurtrier tout ensanglanté. Rougon, évidemment, ne savait rien de tout cela, mais il ne pouvait faire face à Plassans en tant que meurtrier de son frère. Et c'est aussi pourquoi, le plus souvent, les rois préfèrent éloigner leurs frères cadets plutôt que de les faire étrangler au berceau et leur bonté ou leur cruauté supposées ne fait rien à l'affaire.
Ce que Macquart comptait sur la table, ces louis d'or, c'était bien davantage que le fruit de sa trahison, qui était par ailleurs une vilénie et une lâcheté, c'était sa vie, sa force vitale même, qu'il avait confiée à un peu de métal doré. Il y a des crimes qui salissent à jamais l'or qui les a payés. Cet or lui brûlerait les doigts un jour.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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