Diégèse | |||||||||
vendredi 19 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
ce travail est commencé depuis 5467 jours (7 x 11 x 71 jours) | et son auteur est en vie depuis 19920 jours (24 x 3 x 5 x 83 jours) | ||||||||
ce qui représente 27,4448% de la vie de l'auteur | sept cent quatre-vingt-et-une semaines d'écriture | ||||||||
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L'atelier du texte | demain | |||||||
La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Les derniers louis
tintaient, lorsqu'un
éclat de rire strident leur fit tourner la tête. Tante Dide était debout devant le
lit, délacée, avec ses cheveux blancs dénoués,
sa face pâle tachée de rouge. Pascal avait vainement essayé
de la
retenir. Les bras tendus, secouée par un grand frisson, elle hochait la
tête, elle délirait. « Le prix du sang, le prix du sang ! dit-elle, à plusieurs reprises. J'ai entendu l'or… Et ce sont eux, eux, qui l'ont vendu. Ah ! les assassins ! Ce sont des loups. » Elle écartait ses cheveux, elle passait les mains sur son front, comme pour lire en elle. Puis elle continua : « Je le voyais depuis longtemps, le front troué d'une balle. Il y avait toujours des gens, dans ma tête, qui le guettaient avec des fusils. Ils me faisaient signe qu'ils allaient tirer… C'est affreux, je les sens qui me brisent les os et me vident le crâne. Oh ! grâce, grâce !… Je vous en supplie, il ne la verra plus, il ne l'aimera plus, jamais, jamais ! Je l'enfermerai, je l'empêcherai d'aller dans ses jupes. Non, grâce ! ne tirez pas… Ce n'est pas ma faute… Si vous saviez… » Elle s'était presque mise à genoux, pleurant, suppliant, tendant ses pauvres mains tremblantes à quelque vision lamentable qu'elle apercevait dans l'ombre. Et, brusquement, elle se redressa, ses yeux s'agrandirent encore, sa gorge convulsée laissa échapper un cri terrible, comme si quelque spectacle, qu'elle seule voyait, l'eût emplie d'une terreur folle. « Oh ! le gendarme ! » dit-elle, étranglant, reculant, venant retomber sur le lit où elle se roula avec de longs éclats de rire qui sonnaient furieusement. |
Émile Zola 1870
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Le temps pour elle n'était plus que chaos et elle était tout à la fois la mère de ces deux gorets de Rougon et de Macquart, la maîtresse du père d'Antoine, le contrebandier et la grand-mère des deux doux, de Pascal le chaste savant et de Silvère l'amoureux exalté de Miette et de la liberté. Et toutes ces histoires se mélangeaient en elle à cet instant, comme dans certaines peintures de la Visitation de la Vierge Marie, on peut voir inscrite la douleur de la Pietà de la descente de Croix. A cet instant précis, Adélaïde était la douleur des femmes, toute la douleur des femmes, toutes les femmes du passé et toutes les femmes de l'avenir. Elle était la mère, la femme, la fille et la maîtresses, la grand-mère aussi, de tout un flot de jeunes gens assassinés par tous les pouvoirs, par toutes les institutions, par toutes les contraintes. La figure du gendarme qui la hantait était tout autant celle qui avait tué Macquart le contrebandier que celle qu'elle avait croisé dans la nuit et qui emmenait Silvère enchaîné. Mais, à l'évidence, sa tête malade ne donnait qu'une explication à toutes ces morts, à tous ces crimes de jeunes gens, contre lesquels elle hurlait sans cependant se révolter : le désir charnel, brûlant, insolent, celui qu'elle avait connu, comme celui qu'elle avait reconnu dans cette apparition violente de Silvère et de Miette dans la trouée du mur d'enceinte. Son esprit divaguait, mené par tout cet amour contrarié et entravé et par ses cris, elle libérait les âmes des amours mortes séparées pour les unir à jamais. C'était donc un pacte avec les esprits qu'elle effectuait violemment, entièrement prise par l'exorcisme. |
Daniel Diégèse 2014
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19 décembre | |||||||||
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