Diégèse | |||||||||
samedi 27 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Le gendarme se retourna, avec son
terrible visage taché de sang, et les
curieux s'écartèrent. Un petit bourgeois propret se retira, en
déclarant que s'il restait davantage, ça l'empêcherait de dîner. Des
gamins, ayant reconnu Silvère, parlèrent de la fille
rouge. Alors le
petit bourgeois revint sur ses pas, pour mieux voir l'amant de la femme
au drapeau, de cette créature dont avait parlé la Gazette. Silvère ne voyait, n'entendait rien ; il fallut que Rengade le prît au collet. Alors il se leva, forçant Mourgue à se lever aussi. « Venez, dit le gendarme. Ça ne sera pas long. » Et Silvère reconnut le borgne. Il sourit. Il dut comprendre. Puis il détourna la tête. La vue du borgne, de ces moustaches que le sang roidissait d'un givre sinistre, lui causa un regret immense. Il aurait voulu mourir dans une douceur infinie. Il évita de rencontrer l'œil unique de Rengade, qui brillait sous la pâleur du linge. Ce fut le jeune homme qui, de lui-même, gagna le fond de l'aire Saint-Mittre, l'allée étroite cachée par les tas de planches. Mourgue suivait. L'aire s'étendait, désolée, sous le ciel jaune. La clarté des nuages cuivrés traînait en reflets louches. Jamais le champ nu, le chantier où les poutres dormaient, comme roidies par le froid, n'avait eu les mélancolies d'un crépuscule si lent, si navré. Au bord de la route, les prisonniers, les soldats, la foule, disparaissaient dans le noir des arbres. Seuls le terrain, les madriers, les tas de planches pâlissaient dans les clartés mourantes, avec des teintes limoneuses, un aspect vague de torrent desséché. Les tréteaux des scieurs de long, profilant dans un coin leur charpente maigre, ébauchaient des angles de potence, des montants de guillotine. Et il n'y avait de vivant que trois bohémiens montrant leurs têtes effarées à la porte de leur voiture, un vieux et une vieille, et une grande fille aux cheveux crépus, dont les yeux luisaient comme des yeux de loup. |
Émile Zola 1870
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Le regard de Silvère croisa
celui de la bohémienne, et, en une
fraction de seconde, il se souvint d'un épisode de l'été précédent,
auquel, alors, il n'avait pas voulu accorder d'importance. Un soir,
alors qu'il attendait Miette, qui ne venait pas, sans doute retenue par
ce gredin de Justin, ses pas impatients le menèrent jusqu'au campement
des bohémiens. La jeune fille était là, silencieuse, ne montrant ni
peur, ni surprise, ni même aucune forme d'intérêt. Elle regardait
fixement le marc d'une tasse à café et Silvère s'approcha. Il savait
que les bohémiennes, pour quelques sous, disaient la bonne aventure par
la lecture des lignes de la main ou par celle des formes en apparence
aléatoires du marc de café. Les lignes de la main révèlent surtout le
destin d'une personne et les grandes étapes de sa vie. Le marc des
tasses à café décrit une situation à venir et pet faire apparaître
plusieurs personnes engagées dans une situation, dans une scène. La
bohémienne leva les yeux vers le jeune homme et Silvère sentit tout son
corps frissonner comme s'il était nu dans un vent très froid. La jeune
femme baissa la tête de nouveau, comme absorbée par les images au fond
de la tasse, indifférente à sa présence. Cependant, Silvère ne pouvait
pas s'éloigner. Il devait pourtant retourner vers la pierre tombale,
près du mur, pour attendre Miette, mais il ne le pouvait pas, comme
pris par un sortilège. Après un moment qui lui parut très long, la
femme releva la tête, le regarda longuement, et d'une voix grave, qui
tranchait avec sa jeunesse, elle s'adressa à lui. « Tu es bien jeune pour mourir. Elle est bien jeune aussi. Vous êtes la jeunesse du monde. Vous demeurerez à jamais la jeunesse du monde. C'est ainsi que c'est écrit. » Silvère allait ouvrir la bouche pour lui demander ce qu'elle voulait dire, mais la jeune femme le fit taire d'un regard et s'éloigna sans se retourner. Silvère courut rejoindre son poste d'attente. Miette parut. Tout était oublié. |
Daniel Diégèse 2014
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27 décembre | |||||||||
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