Diégèse | |||||||||
mardi 30 décembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Rengade avait mis un
raffinement de vengeance à tuer Mourgue le
premier. Il jouait avec son second pistolet, il le levait lentement,
goûtant l'agonie de Silvère. Celui-ci,
tranquille, le regarda. La vue
du borgne, dont l'œil farouche le brûlait, lui causa un malaise. Il
détourna le regard, ayant peur de mourir lâchement, s'il continuait à
voir cet homme frissonnant de fièvre, avec son bandeau maculé et sa
moustache saignante. Mais comme il levait les yeux, il aperçut la tête
de Justin au ras
du mur, à l'endroit où Miette sautait. Justin se trouvait à la porte de Rome, dans la foule, lorsque le gendarme avait emmené les deux prisonniers. Il s'était mis à courir à toutes jambes, faisant le tour par le Jas Meiffren, ne voulant pas manquer le spectacle de l'exécution. La pensée que, seul des vauriens du faubourg, il verrait le drame à l'aise, comme du haut d'un balcon, lui donnait une telle hâte, qu'il tomba à deux reprises. Malgré sa course folle, il arriva trop tard pour le premier coup de pistolet. Désespéré, il grimpa sur le mûrier. En voyant que Silvère restait, il eut un sourire. Les soldats lui avaient appris la mort de sa cousine, l'assassinat du charron achevait de le mettre en joie. Il attendit le coup de feu avec cette volupté qu'il prenait à la souffrance des autres, mais décuplée par l'horreur de la scène, mêlée d'une épouvante exquise. Silvère, en reconnaissant cette tête, seule au ras du mur, cet immonde galopin, la face blême et ravie, les cheveux légèrement dressés sur le front, éprouva une rage sourde, un besoin de vivre. Ce fut la dernière révolte de son sang, une rébellion d'une seconde. Il retomba à genoux, il regarda devant lui. Dans le crépuscule mélancolique, une vision suprême passa. Au bout de l'allée, à l'entrée de l'impasse Saint-Mittre, il crut apercevoir tante Dide, debout, blanche et roide comme une sainte de pierre qui, de loin voyait son agonie. À ce moment, il sentit sur sa tempe le froid du pistolet. La tête blafarde de Justin riait. Silvère, fermant les yeux, entendit les vieux morts l'appeler furieusement. Dans le noir, il ne voyait plus que Miette, sous les arbres, couverte du drapeau, les yeux en l'air. Puis le borgne tira, et ce fut tout ; le crâne de l'enfant éclata comme une grenade mûre ; sa face retomba sur le bloc, les lèvres collées à l'endroit usé par les pieds de Miette, à cette place tiède où l'amoureuse avait laissé un peu de son corps. |
Émile Zola 1870
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Le corps de Silvère connut
une dernière secousse. C'était fini.
On entendit au bout de l'allée un cri lugubre et déchirant, mais tante
Dide avait si rapidement disparu que personne ne sut dire de quelles
entrailles torturées ce cri avait bien pu sortir. Justin lui aussi cria. Il ne put retenir un cri d'extase, si curieux pour un enfant de son âge que le gendarme tourna la tête vers lui. Et, à cette face blême qui se réjouissait de la mort d'un autre enfant, la colère de Rengade s'apaisa soudainement. Il revenait à la vie. Son œil crevé lui paraissait peu de chose face aux deux morts qu'il avait provoquées et qui lui apparaissaient dès lors comme un crime inexpiable. Bien plus tard, il se rendit à l'église demander au prêtre l'absolution, hanté qu'il était par la mort abominable de deux innocents. Le prêtre l'écouta en confession et lui revinrent à la mémoire les mots de la Sainte Bible : « quod si oculus tuus dexter scandalizat te erue eum et proice abs te expedit enim tibi ut pereat unum membrorum tuorum quam totum corpus tuum mittatur in gehennam ». Il les lui récita de mémoire en latin et le pauvre Rengade n'y comprit évidemment rien. Pensant qu'il s'agissait de la formule rituelle le relevant de ses péchés, il s'agenouilla et des larmes coulaient drues de son œil unique. Le prêtre, cependant, lui traduisit les mots de l'évangile : « Car, si ton œil droit est source de scandale - de chute - arrache-le et jette-le loin de toi ; il vaut mieux pour toi vivre avec un seul œil plutôt que ton corps en entier soit jeté dans la géhenne. » Mais Rengade ne comprit toujours pas ce que le prêtre voulait dire, et si même il voulait dire quelque chose en particulier. Il demeura à genoux. Mais le prêtre le renvoya sans lui donner l'absolution, lui disant qu'il ne pouvait lui remettre un aussi grand péché, qu'il devrait aller voir l'évêque, et peut-être même aller à Rome. Rengade repartit vers la caserne. Quelques jours plus tard, alors que Plassans se remettait à peine de ses frayeurs, on retrouva le corps de Rengade à proximité de l'antique pierre tombale sur laquelle il avait sacrifié Silvère et Mourgue. Il avait le crâne éclaté et sa main droite tenait encore un pistolet. On conclut qu'il n'avait pas supporté d'être renvoyé pour infirmité de la gendarmerie et qu'il avait préféré mourir plutôt que de devoir mendier. Personne n'osa avancer l'hypothèse qu'il avait été pris de remords. Quant à Justin, il continua sa vie de garnement quelque temps, avant d'être chargé et tué un jour par un taureau qu'il avait agacé. |
Daniel Diégèse 2014
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30 décembre | |||||||||
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