Diégèse




jeudi 20 février 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Rien de plus terriblement grandiose que l'irruption de ces quelques milliers d'hommes dans la paix morte et glacée de l'horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s'épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s'éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu'un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu'aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l'horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d'arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d'étain fondu, il n'y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l'ébranlement de l'air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu'aux pierres du chemin.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Même les morts de Saint-Mittre, les vieux morts brinquebalés dans leur carriole infernale se sont mis à chanter. Et ceux qui étaient déjà morts avant la Révolution apprenaient les paroles du chant glorieux avec leurs descendance. Il y avait ceux qui avaient vécu les grandes émeutes de décembre 1790, et pour certains, qui y avaient participé. Il s'agissait alors de sauver la Constitution des ardeurs monarchistes et provençales. Les quelques pendus monarchistes de ces jours enflammés regardaient passer le cortège avec crainte, méditant sur l'histoire qui semblait recommencer. Il y avait aussi quelques morts, tout jeunes morts encore, de 1848, désolés de ne pouvoir se joindre en chair et en os à la troupe hurlante. Il y avait enfin tous ces morts que l'on ne connaît pas, ces morts paysans, serfs des siècles passés, ces métayers vaincus, ces enfants affamés, tous les hommes et toutes les femmes et tous les enfants aussi qui, par les siècles, ont péri d'injustice. Et ceux-là, qui n'avaient jamais chanté de chants révolutionnaires, ceux-là qui avaient vécu des époques sans révolte, sans émeute et sans coups de fusils, ceux-là qui avaient servi de chair à des guerres qui leur étaient étrangères et qui avaient été contraints de faire de leur vie la cible de querelles qui ne les concernaient pas, tous ceux-là, innombrables et dispersés à travers la vallée, massés sur les coteaux, faisaient vibrer l'air de la nuit comme des frelons gigantesques.
Depuis ces événements et ces nuits de décembre 1851, ces esprits coléreux de l'injustice se sont endormis, fléchissant sous l'Empire et l'ordre bourgeois revenu. Mais il n'y a pas à craindre qu'ils le soient pour toujours et quelques cœurs vaillants sauront toujours réveiller la colère ancestrale des humiliés.

Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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