Diégèse




 jeudi 9 janvier 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Le champ mort et désert, où les frelons autrefois bourdonnaient seuls autour des fleurs grasses, dans le silence écrasant du soleil, est ainsi devenu un lieu retentissant qu'emplissent de bruit les querelles des bohémiens et les cris aigus des jeunes vauriens du faubourg. Une scierie, qui débite dans un coin les poutres du chantier, grince, servant de basse sourde et continue aux voix aigres. Cette scierie est toute primitive : la pièce de bois est posée sur deux tréteaux élevés, et deux scieurs de long, l'un en haut monté sur la poutre même, l'autre en bas aveuglé par la sciure qui tombe, impriment à une large et forte lame de scie un continuel mouvement de va-et-vient. Pendant des heures, ces hommes se plient, pareils à des pantins articulés, avec une régularité et une sécheresse de machine. Le bois qu'ils débitent est rangé, le long de la muraille du fond, par tas hauts de deux ou trois mètres et méthodiquement construits, planche à planche, en forme de cube parfait. Ces sortes de meules carrées, qui restent souvent là plusieurs saisons, rongées d'herbes au ras du sol, sont un des charmes de l'aire Saint-Mittre. Elles ménagent des sentiers mystérieux, étroits et discrets, qui conduisent à une allée plus large, laissée entre les tas et la muraille. C'est un désert, une bande de verdure d'où l'on ne voit que des morceaux de ciel. Dans cette allée, dont les murs sont tendus de mousse et dont le sol semble couvert d'un tapis de haute laine, règnent encore la végétation puissante et le silence frissonnant de l'ancien cimetière.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Il n'y a d'allée et il n'y a de chemin sans destination. Quand la scierie s'est depuis plusieurs heures arrêtée, quand les gamins du faubourg ont rejoint leurs foyers et que les bohémiens, lassés de leurs chants, fatigués de leurs danses, s'endorment dans la proximité du feu de camp, des visiteurs, furtifs et mystérieux rejoignent l'allée qui les conduit tout à la fois en enfer comme au paradis. Ils l'ont nommée l'allée du bout ou parfois seulement même "au bout". L'appellation est curieuse quand on aurait attendu plutôt "l'allée du fond" ou "au fond" qui auraient mieux convenu. Mais il s'agissait bien pour celles et pour ceux qui s'y rendaient d'aller "au bout" de quelque chose d'inassouvi, secrètement public, intimement partagé avec d'autres stigmatisés par leurs désirs. Alors, la nuit, les morceaux de ciel se faisaient lucarnes et la mousse de haute laine accueillait le frisson des corps. Un peintre ou un sculpteur qui s'y serait égaré y aurait vu très certainement le tableau vivant d'une représentation de l'enfer comme on le faisait au Moyen-Âge ou encore une allégorie de la luxure, sinon de la vie des démons. Il n'y avait nul observateur de ces bacchanales cependant. Et qui sy serait seulement risqué se serait promptement fait rosser. Le lieu et sa réputation provoquaient tant de crainte qu'il en était devenu légendaire. L'ancien cimetière pouvait bien faire croire que dans l'allée du bout, vivants et morts se rejoignaient pour des commerces incroyables.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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