Les
morts de l'aire Saint-Mittre le regardaient passer
pourtant, mais il ne les vit pas, ni même il ne sentit leur présence
inquiète.
Car ils avaient déjà vu, ces morts du cimetière antique, de jeunes gens
furtifs et déterminés, des comploteurs, des bandits, des amoureux
trompés, et même des révolutionnaires. Ils en avaient vu, de jeunes
morts
les rejoindre, et qui, dès lors, n'avaient eu de cesse que de réclamer
d'autres jeunes morts pour demeurer en bande. Alors, ce jeune homme
encore bien vivant qui
passait au milieu d'eux avec un fusil sans souci de leurs craintes
vénérables les troublait.
Ils ne savaient dire quelles étaient ses intentions véritables car,
contrairement à ce que l'on croit souvent, les morts n'en savent pas
plus que les vivants.
Ces taches sombres, qui l'inquiétaient et qui
semblaient trahir la limpidité de la lumière de la lune n'étaient que
les traces plus
sombres de quelques esprits plus noirs qui avaient péri
par la violence des temps d'alors. Demeuraient encore près du mur, "au
bout", quelques-uns des vingt et cinq royalistes assassinés dans leur
prison, deux ou trois courageux tombés sur les champs de bataille
improvisés du centre-ville.
Et il y avait même le cadet, un tout
jeune mort des barricades parisiennes de 1848, qui n'avait pas voulu
rester loin de son pays et était revenu là, parler provençal avec ses
ancêtres. Alors ils le regardaient et quand les morts regardent le
souffle du vent cesse soudain, les animaux se figent, les plantes
arrêtent un court instant leur lent et patient travail de vie. Alors,
le promeneur frissonne, la chouette oublie son cri, les chats et les
chiens détournent leur errance. |
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Zola
augmenté Daniel Diégèse
2014
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