Diégèse | |||||||||
jeudi 16 janvier 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Toutes les femmes
n'auraient point aimé cet enfant,
car il était loin d'être ce qu'on nomme un joli garçon, mais l'ensemble
de ses
traits avait une vie si ardente et si sympathique, une telle beauté
d'enthousiasme et de force, que les filles de sa province, ces
filles brûlées
du Midi, devaient
rêver de lui, lorsqu'il venait à passer devant leur porte,
par les chaudes soirées de juillet. Il songeait toujours, assis sur la pierre tombale, ne sentant pas les clartés de la lune qui coulaient maintenant le long de sa poitrine et de ses jambes. Il était de taille moyenne, légèrement trapu. Au bout de ses bras trop développés, des mains d'ouvrier, que le travail avait durcies, s'emmanchaient solidement ; ses pieds, chaussés de gros souliers lacés, paraissaient forts, carrés du bout. Par les attaches et les extrémités, par l'attitude alourdie des membres, il était peuple ; mais il y avait en lui, dans le redressement du cou et dans les lueurs pensantes des yeux, comme une révolte sourde contre l'abrutissement du métier manuel qui commençait à le courber vers la terre. Ce devait être une nature intelligente noyée au fond de la pesanteur de sa race et de sa classe, un de ces esprits tendres et exquis logés en pleine chair, et qui souffrent de ne pouvoir sortir rayonnants de leur épaisse enveloppe. Aussi, dans sa force, paraissait-il timide et inquiet, ayant honte à son insu de se sentir incomplet et de ne savoir comment se compléter. Brave enfant, dont les ignorances étaient devenues des enthousiasmes, cœur d'homme servi par une raison de petit garçon, capable d'abandons comme une femme et de courage comme un héros. Ce soir-là, il était vêtu d'un pantalon et d'une veste de velours de coton verdâtre à petites côtes. Un chapeau de feutre mou, posé légèrement en arrière, lui jetait au front une raie d'ombre. |
Émile Zola 1870
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Il
y
avait là dans sa mise quelque chose d'un gamin de Paris, quelque chose
d'un Gavroche au Père Hugo. On ne saura jamais mesurer avec exactitude
l'influence que ce jeune mort a pu avoir sur la jeunesse de province.
Pour cette jeunesse accablée par les tâches et tenue dans l'ignorance,
Paris est devenue depuis la Révolution la place des grandes gestes
émancipatrices. Gavroche est devenu leur emblème, quand bien-même ils
ne savent pas lire. Le grand brassage des armées napoléoniennes a donné
à leurs pères le sentiment commun de la patrie sans cesse menacée et à
leurs fils le souvenir que Paris pouvait se soulever.
Ce chapeau de feutre mou était le signe d'appartenance de
cette jeunesse malhabile qui, depuis plus de quatre-vingts ans, fait
en France les révoltes et les révolutions, trouvant dans les cris, les
échauffourées et les coups de main, l'emploi d'une vigueur que le
bourgeois aurait voulu voir demeurer au travail. Alors qu'il était voué
par sa condition à l'épaississement continu de son corps, son esprit
tout entier voulait s'aiguiser dans la lutte. Il demeurait là, sur la pierre tombale à l'épitaphe abrasée, comme un amant lassé par le chagrin, comme un jeune père veillant son premier né emporté par l'absence de soins, comme un fils venant chercher sur sa tombe l'amour de sa mère défunte, comme un mari éperdu et résigné à la mort de son épouse emportée par les couches, comme tous ceux que l'on voit le dimanche sur les tombes, abasourdis du chagrin de demeurer en vie et frappés au même instant par la force de leur vie. La lune continuait son chemin, allongeant ou raccourcissant les ombres, dans cette absence de compassion pour les hommes qui leur fait penser à l'amour. |
Daniel Diégèse 2014
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16 janvier | |||||||||
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