Diégèse | |||||||||
lundi 14 juillet 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Le sourire du
marquis devenait
plus aigu. Le soir, dans le salon jaune,
lorsque l'effroi rendait indistincts les grognements de Granoux, il
s'approchait de Félicité, il lui disait à
l'oreille : « Allons, petite, le fruit est mûr… Mais il faut vous rendre utile. » Souvent, Félicité, qui continuait à lire les lettres d'Eugène, et qui savait que, d'un jour à l'autre, une crise décisive pouvait avoir lieu, avait compris cette nécessité : se rendre utile, et s'était demandé de quelle façon les Rougon s'emploieraient. Elle finit par consulter le marquis. « Tout dépend des événements, répondit le petit vieillard. Si le département reste calme, si quelque insurrection ne vient pas effrayer Plassans, il vous sera difficile de vous mettre en vue et de rendre des services au gouvernement nouveau. Je vous conseille alors de rester chez vous et d'attendre en paix les bienfaits de votre fils Eugène. Mais si le peuple se lève et que nos braves bourgeois se croient menacés, il y aura un bien joli rôle à jouer… Ton mari est un peu épais… – Oh ! dit Félicité, je me charge de l'assouplir… Pensez-vous que le département se révolte ? – C'est chose certaine, selon moi. Plassans ne bougera peut-être pas ; la réaction y a triomphé trop largement. Mais les villes voisines, les bourgades et les campagnes surtout, sont travaillées depuis longtemps par des sociétés secrètes et appartiennent au parti républicain avancé. Qu'un coup d'État éclate, et l'on entendra le tocsin dans toute la contrée, des forêts de la Seille au plateau de Sainte-Roure. » Félicité se recueillit. « Ainsi, reprit-elle, vous pensez qu'une insurrection est nécessaire pour assurer notre fortune ? – C'est mon avis », répondit M. de Carnavant. Et il ajouta avec un sourire légèrement ironique : « On ne fonde une nouvelle dynastie que dans une bagarre. Le sang est un bon engrais. Il sera beau que les Rougon, comme certaines illustres familles, datent d'un massacre. » Ces mots, accompagnés d'un ricanement, firent courir un frisson froid dans le dos de Félicité. Mais elle était femme de tête, et la vue des beaux rideaux de M. Peirotte, qu'elle regardait religieusement chaque matin, entretenait son courage. Quand elle se sentait faiblir, elle se mettait à la fenêtre et contemplait la maison du receveur. C'était ses Tuileries, à elle. Elle était décidée aux actes les plus extrêmes pour entrer dans la ville neuve, cette terre promise sur le seuil de laquelle elle brûlait de désirs depuis tant d'années. |
Émile Zola 1870
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Les
rideaux de Monsieur Peirotte et quelques dizaines de milliers de francs
de rentes valaient cependant moins que le sentiment de revanche qui
serait le sien le jour de la victoire et qu'on pût perdre la vie pour
qu'elle et son mari possédassent en somme bien peu de choses ne lui
tournait pas les sangs. C'est ainsi que va le monde et Plassans, en
cela comme en beaucoup d'autres choses, n'était en miniature que ce qui
se passait partout dans le vaste monde. N'avait-on pas décimé les
peuples des plaines d'Amérique pour chercher un peu d'or et de charbon
? N'avait-on
pas pour de la canne à sucre embarqué et entassé sur des bateaux tous
les peuples d'Afrique ? Madame Rougon voulait des rideaux aussi beaux
que ceux de son voisin et pour cela était prête à faire réprimer dans
le sang une insurrection républicaine. En cela, elle était elle-même le
jouet d'intérêts qui la dépassaient largement. Elle était en quelque
sorte comme le commandant du bateau négrier qui croyait faire une bonne
affaire mais qui perdait son âme et son salut pour enrichir des
négociants. La chose était différente pour le marquis de Carnavant. Il n'espérait rien et n'avait en lui-même aucun esprit de revanche. Il n'éprouvait aucune compassion pour les aristocrates qui avaient péri pendant la terreur et considérait la République comme l'Empire comme des régimes de décadence. Il trouvait seulement plaisir à prédire l'avenir et à se donner l'illusion qu'il tirait les ficelles et poussait les manettes de l'histoire. Il était de ces hommes qui ricanent quand ils voient le peuple se précipiter vers l'abîme, savourant seulement le fait que lui sache où est ce même abîme. Mais il n'aurait rien fait qui pût les distraire de leur objectif. Le marquis regardait la République se préparer à périr comme il aurait assisté à la décapitation d'une très lointaine cousine. Il imaginait déjà la distraction que ce serait que de voir ces hordes de gueux défiler dans les rues de Plassans terrorisée. Lui connaissait la ville et savait que chaque hôtel particulier recèle des cachettes et des escaliers dérobés. Il ne craignait pas pour sa vie, ni pour aucune autre, mais il faisait volontiers le pari qu'il faudrait le coup de fouet d'une émeute pour que la réaction bavarde trouvât les forces et le courage de s'installer au pouvoir en se baignant dans le sang. Il n'imaginait pas que ce peuple violent et indiscipliné pût résoudre autrement ces années de palabres et de palinodies. Il lui fallait du sang et c'était toujours ainsi que le peuple de France avait construit son histoire. Certes, la guerre étrangère lui aurait semblé préférable mais ce n'était pas la minuscule campagne de Rome qui pouvait en tenir lieu. S'affronter à la Prusse était par trop risqué. Restait la guerre civile, en espérant qu'elle fût courte et ne laissât pas trop de traces. Et puis, il aurait tant de plaisir à visiter Félicité dans sa maison de la ville neuve et à la complimenter pour ses nouveaux rideaux. |
Daniel Diégèse 2014
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14 juillet | |||||||||
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