Diégèse




jeudi 24 juillet 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Félicité referma la porte. Aristide, dans son trou noir, venait d'avoir un éblouissement. Sans attendre que le marquis eût gagné la rue, il dégringola quatre à quatre l'escalier et s'élança dehors comme un fou ; puis il prit sa course vers l'imprimerie de l'Indépendant. Un flot de pensées battait dans sa tête. Il enrageait, il accusait sa famille de l'avoir dupé. Comment ! Eugène tenait ses parents au courant de la situation, et jamais sa mère ne lui avait fait lire les lettres de son frère aîné, dont il aurait suivi aveuglément les conseils !
Et c'était à cette heure qu'il apprenait par hasard que ce frère aîné regardait
le succès du coup d'État comme certain !
Cela, d'ailleurs, confirmait en lui certains pressentiments que cet imbécile de
sous-préfet lui avait empêché d'écouter.
Il était surtout exaspéré contre son père, qu'il avait cru assez sot pour être
légitimiste, et qui se révélait bonapartiste au bon moment.
« M'ont-ils laissé commettre assez de bêtises, murmurait-il en courant. Je suis un joli monsieur, maintenant. Ah ! quelle école !
Granoux est plus fort que moi. » Il entra dans les bureaux de l'Indépendant, avec un bruit de tempête, en demandant son article d'une voix étranglée.
L'article était déjà mis en page. Il fit desserrer la forme et ne se calma qu'après avoir décomposé lui-même l'article, en mêlant furieusement les lettres comme un jeu de dominos.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Il ressentit un plaisir particulier à mêler entre elles, dans le plus grand désordre, les lettres de plomb qui faisaient en s'entrechoquant un curieux tintamarre. Il y voyait une sorte de métaphore qui l'encourageait à penser que tout était encore ouvert comme les lettres mêlées sur le marbre permettaient désormais d'imaginer n'importe quel texte porteur de n'importe quelle opinion. Et l'on peut y voir en effet une métaphore sur la possibilité de changer ses opinions et de les retourner en cas de crise politique, voire de révolution, avec célérité sinon allégresse. Car les hommes se révèlent aux autres, mais aussi à eux-mêmes, pendant les crises. La veille encore, Aristide, malgré ses doutes, se serait cru capable de défendre la République davantage encore qu'il n'aurait défendu les siens. Confronté à l'histoire, implacable, qui fait des gagnants et des perdants au fil du temps, il oubliait toutes ses colères et ce qu'il croyait être ses idéaux. Il n'était pas assez sage pour se rappeler que l'histoire fait des gagnants sur le court terme qui, face à elle et face aux hommes, le jour venu, se révèlent les perdants définitifs. Il avait même oublié que face à l'histoire, celui qui a perdu son honneur ne peut jamais gagner. Alors qu'au même moment, à Paris, on perdait la vie sur des barricades du faubourg Saint-Antoine, si proche de la Bastille, pour défendre la République, Aristide et, partout en France ses semblables, dévissaient rapidement leurs idéaux pour endosser le moment venu les couleurs du vainqueur. C'est ainsi que sont les hommes, et l'histoire, altière, se nourrit aussi de la longue geste des pleutres, des traîtres et des malfaisants.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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