Diégèse




jeudi 5 juin 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Mais pour les rentiers de la ville neuve, ce beau feu eut l'éclat et la durée d'un feu de paille. Les petits propriétaires, les commerçants retirés, ceux qui avaient dormi leurs grasses matinées ou arrondi leur fortune sous la monarchie, furent bientôt pris de panique ; avec sa vie de secousses, la République les fit trembler pour leur caisse et pour leur chère existence d'égoïstes. Aussi, lorsque la réaction cléricale de 1849 se déclara, presque toute la bourgeoisie de Plassans passa-t-elle au parti conservateur. Elle y fut reçue à bras ouverts. Jamais la ville neuve n'avait eu des rapports si étroits avec le quartier Saint-Marc ; certains nobles allèrent jusqu'à toucher la main à des avoués et à d'anciens marchands d'huile. Cette familiarité inespérée enthousiasma le nouveau quartier qui fit, dès lors, une guerre acharnée au gouvernement républicain. Pour amener un pareil rapprochement, le clergé dut dépenser des trésors d'habileté et de patience. Au fond, la noblesse de Plassans se trouvait plongée, comme une moribonde, dans une prostration invincible ; elle gardait sa foi, mais elle était prise du sommeil de la terre, elle préférait ne pas agir, laisser faire le ciel ; volontiers, elle aurait protesté par son silence seul, sentant vaguement peut-être que ses dieux étaient morts et qu'elle n'avait plus qu'à aller les rejoindre. Même à cette époque de bouleversement, lorsque la catastrophe de 1848 put lui faire espérer un instant le retour des Bourbons, elle se montra engourdie, indifférente, parlant de se jeter dans la mêlée et ne quittant qu'à regret le coin de son feu. Le clergé combattit sans relâche ce sentiment d'impuissance et de résignation. Il y mit une sorte de passion. Un prêtre, lorsqu'il désespère, n'en lutte que plus âprement ; toute la politique de l'Église est d'aller droit devant elle, quand même, remettant la réussite de ses projets à plusieurs siècles, s'il est nécessaire, mais ne perdant pas une heure, se poussant toujours en avant d'un effort continu. Ce fut donc le clergé qui, à Plassans, mena la réaction. La noblesse devint son prête-nom, rien de plus ; il se cacha derrière elle, il la gourmanda, la dirigea, parvint même à lui rendre une vie factice. Quand il l'eut amenée à vaincre ses répugnances au point de faire cause commune avec la bourgeoisie, il se crut certain de la victoire. Le terrain était merveilleusement préparé ; cette ancienne ville royaliste, cette population de bourgeois paisibles et de commerçants poltrons devait fatalement se ranger tôt ou tard dans le parti de l'ordre. Le clergé, avec sa tactique savante, hâta la conversion. Après avoir gagné les propriétaires de la ville neuve, il sut même convaincre les petits détaillants du vieux quartier. Dès lors, la réaction fut maîtresse de la ville. Toutes les opinions étaient représentées dans cette réaction ; jamais on ne vit un pareil mélange de libéraux tournés à l'aigre, de légitimistes, d'orléanistes, de bonapartistes, de cléricaux. Mais peu importait, à cette heure. Il s'agissait uniquement de tuer la République. Et la République agonisait. Une fraction du peuple, un millier d'ouvriers au plus, sur les dix mille âmes de la ville, saluaient encore l'arbre de la liberté, planté au milieu de la place de la Sous-Préfecture.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le clergé semblait s'être fixé l'objectif dès 1830 de ne pas voir la République fêter le centenaire de la révolution de 1789. Car l'Église compte en siècles quand les partis politiques comptent quant à eux en années, en mois, voire, dans les grandes circonstances, en jours sinon en heures. Le clergé poursuit ainsi l'œuvre de Pierre à qui il fut confié de construire l'Église, ce même Pierre qui, dans les évangiles, ne cesse d'agir à contre temps, de demander des explications pour lesquelles il n'obtient que des réponses amusées et parfois agacées et qui, avant que le coq n'ait chanté trois fois renie son maître malgré la prédiction qui lui en avait été faite. C'est peut-être ce reniement que l'Église veut racheter en se mettant toujours depuis des siècles du côté du pouvoir, de la force et du conservatisme, au mépris des obligations qui lui sont faites par le dogme et par les textes de secourir les plus démunis, de partager et de redistribuer les richesses. Il n'y a en somme que les ordres contemplatifs qui, ne comptant que pour le Salut éternel, échappent aux stratégies séculières. On a vu parfois, et on reverra peut-être encore, des prêtres affectés au service de pauvres gens, marqués par la lecture des textes sacrés, échapper à la doctrine réactionnaire de l'Église pour se lancer sur les chemins de la justice sociale. l'église a même eu ses agents doubles. Emmanuel-Joseph Sieyès, abbé de son état, en était un, parmi les plus importants, lui que Robespierre avait surnommé « la taupe de la révolution ». Comment l'ancien aumônier de Madame Sophie, la tante de Louis XVI a pu devenir quelques années plus tard député du Tiers État demeurera une des bizarreries de l'histoire de l'Église que les historiens, faisons-en le pari, ne cesseront de commenter pendant les siècles à venir. Si Sieyès est illustre, il y a quantité de prêtres anonymes qui n'ont pas joué, avant et après la révolution, le jeu de la bourgeoisie conservatrice. C'est que l'Église cultive aussi la théorie du rachat et croit sincèrement qu'une flopée de prêtres justes peut valoir pour des armées de prêtres et de prélats du côté de la force brutale, du conservatisme social et de la captation des richesses par quelques-uns. C'est qu'elle mêle toujours dans son alliage politique eschatologie et calculs à plus court terme. Plassans, à cette époque, ne connaissait pas de ces prêtres révolutionnaires mais quelques bourgs aux alentours en connaissaient, prêts à marcher sur la ville avec la populace, et même à entonner des chants qui ne prêchaient pas le pardon. Leur hiérarchie, prudente et avisée, se gardait bien alors de les en dissuader sachant précisément que le sort des batailles politiques est par nature incertain et que les parias de la veille pouvaient se trouver devenir des alliés et des défenseurs précieux le lendemain. N'avait-on pas vu pendant la révolution des évêques sauver leur peau par l'intercession immédiate de prêtres au bonnet phrygien ? L'inverse ne s'est produit que rarement. La réaction victorieuse, les prélats sauvés d'un sort funeste n'ont pas toujours exercé leur pouvoir de grâce à l'égard de ceux qui avaient désobéi à leurs consignes. C'est qu'il faut bien aussi que l'Église produise des martyrs pour chaque camp et ce, pour les siècles des siècles.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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