Diégèse | |||||||||
mardi 24 juin 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Le matin même de son
départ, une heure avant de monter en diligence, Eugène emmena son père dans la
chambre à coucher et eut avec lui un
long entretien. Félicité, restée dans le salon,
essaya vainement d'écouter. Les
deux hommes parlaient bas, comme s'ils eussent redouté qu'une seule de
leurs
paroles pût être entendue du dehors. Quand ils sortirent enfin de la
chambre,
ils paraissaient très animés. Après avoir embrassé son père et sa mère, Eugène, dont la voix traînait d'habitude, dit avec une vivacité émue : « Vous m'avez bien compris, mon père ? Là est notre fortune. Il faut travailler de toutes nos forces, dans ce sens. Ayez foi en moi. – Je suivrai tes instructions fidèlement, répondit Rougon. Seulement n'oublie pas ce que je t'ai demandé comme prix de mes efforts. – Si nous réussissons, vos désirs seront satisfaits, je vous le jure. D'ailleurs, je vous écrirai, je vous guiderai, selon la direction que prendront les événements. Pas de panique ni d'enthousiasme. Obéissez-moi en aveugle. – Qu'avez-vous donc comploté ? demanda curieusement Félicité. – Ma chère mère, répondit Eugène avec un sourire, vous avez trop douté de moi pour que je vous confie aujourd'hui mes espérances, qui ne reposent encore que sur des calculs de probabilité. Il vous faudrait la foi pour me comprendre. D'ailleurs, mon père vous instruira quand l'heure sera venue. » Et comme Félicité prenait l'attitude d'une femme piquée, il ajouta à son oreille, en l'embrassant de nouveau : « Je tiens de toi, bien que tu m'aies renié. Trop d'intelligence nuirait en ce moment. Lorsque la crise arrivera, c'est toi qui devras conduire l'affaire. » Il s'en alla ; puis il rouvrit la porte, et dit encore d'une voix supérieure : « Surtout, défiez-vous d'Aristide, c'est un brouillon qui gâterait tout. Je l'ai assez étudié pour être certain qu'il retombera toujours sur ses pieds. Ne vous apitoyez pas ; car, si nous faisons fortune, il saura nous voler sa part. » Quand Eugène fut parti, Félicité essaya de pénétrer le secret qu'on lui cachait. Elle connaissait trop son mari pour l'interroger ouvertement ; il lui aurait répondu avec colère que cela ne la regardait pas. Mais, malgré la tactique savante qu'elle déploya, elle n'apprit absolument rien. |
Émile Zola 1870
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Il y a des
familles dans lesquelles les rivalités entre enfants
chagrinent les parents qui, dès lors, s'emploient à les atténuer, compensant les échecs
des uns sans ternir les succès des autres. C'est
une forme de famille qui appelle une forme de gouvernement, attentive à
la justice sociale, juste avec les forts et doux avec les faibles.
C'est un gouvernement essentiellement fondé sur la paix. Rien de cela, bien sûr, chez les Rougon. Dans l'enfance, les querelles incessantes entre Eugène et Aristide avaient été réglées également à coups de taloches, sans chercher à savoir aucunement qui était à la source du trouble. Quand les garnements furent plus grands, ils tentèrent un temps de donner à chacun selon son mérite, avant de renoncer devant la complexité de l'affaire qui supposait d'abord de former un jugement. Ils remplacèrent donc rapidement ce qu'ils croyaient être une envie de justice par une indifférence doublée d'une rancune. Leurs enfants étaient un investissement qui devait rapporter le plus gros possible et leurs actes, en conséquence, n'étaient jugés qu'à cette aune-là. À l'évidence, cette forme de famille appelle un gouvernement fondé sur la force et le profit, donnant au plus fort ce qu'il aura pris au plus faible et justifiant le tout par des arguties qui prennent le nom de compétition et de concurrence. Ces régimes peuvent se mettre du côté des religions, pour ce qu'elles représentent de complaisance pour l'ordre établi et surtout, l'acceptation de l'ordre établi. Les prophètes de tous les temps, cependant, n'ont cessé de les dénoncer. Huit siècles avant Jésus-Christ, le berger Amos s'époumonait déjà près de Jérusalem contre eux qui « ont vendu le juste pour de l'argent, et le pauvre pour une paire de souliers » Les Rougon pariaient sur chacun de leurs enfants comme le spéculateur peut le faire sur des entreprises hasardeuses, et conformant ensuite chacun de ses actes, non en raison d'une soif de justice et de bien, mais en fonction du profit qu'il pourra en retirer. Les têtes de massacre du salon jaune n'étaient en somme que la réalisation de leurs envies de richesses et de gloire. Le pouvoir eût-il un goitre et un pied bot, fût-il cent fois condamné pour des exactions connues de tous, qu'ils pouvaient sans encombre se mettre de son côté pour peu qu'ils en tirassent avantage. La Province et Paris ne comptaient alors plus le nombre des Rougon. |
Daniel Diégèse 2014
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24 juin |
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