Diégèse




jeudi 15 mai 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




La nature a souvent des besoins de symétrie. Petit, la mine chafouine, pareille à une pomme de canne curieusement taillée en tête de polichinelle, Aristide furetait, fouillait partout, peu scrupuleux, pressé de jouir. Il aimait l'argent comme son frère aîné aimait le pouvoir. Tandis qu'Eugène rêvait de plier un peuple à sa volonté et s'enivrait de sa toute-puissance future, lui se voyait dix fois millionnaire, logé dans une demeure princière, mangeant et buvant bien, savourant la vie par tous les sens et tous les organes de son corps. Il voulait surtout une fortune rapide. Lorsqu'il bâtissait un château en Espagne, ce château s'élevait magiquement dans son esprit ; il avait des tonneaux d'or du soir au lendemain ; cela plaisait à ses paresses, d'autant plus qu'il ne s'inquiétait jamais des moyens et que les plus prompts lui semblaient les meilleurs. La race des Rougon, de ces paysans épais et avides, aux appétits de brute, avait mûri trop vite ; tous les besoins de jouissance matérielle s'épanouissaient chez Aristide, triplés par une éducation hâtive, plus insatiables et dangereux depuis qu'ils devenaient raisonnés. Malgré ses délicates intuitions de femme, Félicité préférait ce garçon ; elle ne sentait pas combien Eugène lui appartenait davantage ; elle excusait les sottises et les paresses de son fils cadet, sous prétexte qu'il serait l'homme supérieur de la famille, et qu'un homme supérieur a le droit de mener une vie débraillée, jusqu'au jour où la puissance de ses facultés se révèle. Aristide mit rudement son indulgence à l'épreuve. À Paris, il mena une vie sale et oisive ; il fut un de ces étudiants qui prennent leurs inscriptions dans les brasseries du Quartier latin. D'ailleurs, il n'y resta que deux années ; son père, effrayé, voyant qu'il n'avait pas encore passé un seul examen, le retint à Plassans et parla de lui chercher une femme, espérant que les soucis du ménage en feraient un homme rangé. Aristide se laissa marier. À cette époque, il ne voyait pas clairement dans ses ambitions ; la vie de province ne lui déplaisait pas ; il se trouvait à l'engrais dans sa petite ville, mangeant, dormant, flânant.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
La chose était paradoxale, car, il y a rarement de fortunes rapides dans les petites villes de province. Les raisons de cela sont assez évidentes. Il est difficile d'y spéculer. La spéculation repose sur la confidentialité sinon le secret. Le spéculateur sait ce que ses dupes ne savent pas. À Plassans comme dans toutes les petites villes provinciales, tout se sait et le moindre mouvement suspect est analysé, commenté, éventé. Il y a aussi que la spéculation s'épanouit quand la taille des opérations permet de faire la culbute. Spéculer sur un arpent de terre à Plassans, fût-il habilement situé sur le tracé d'une avenue nouvelle ne permettra jamais de devenir riche aisément et rapidement. Il faudra attendre des siècles. Et encore, la chose ne rapportera jamais que quelques sous propres seulement à ravir des ambitions modestes. Devenir riche, en somme, suppose que la société vous accepte comme tel. En province, tout est fait au demeurant pour que les riches demeurent riches, mais pas trop riches et que les pauvres ne se plaignent pas d'être pauvres, pas trop. La société, par mille moyens, leur assure la subsistance, fût-ce par l'aumône. On a ses pauvres comme on a ses bêtes ou ses domestiques. Dans les grandes villes, les pauvres sont laissés à eux-mêmes et cela, rapidement, tourne mal. Enfin, il est facilement observable que les richesses rapides font les jouissances rapides et ostentatoires. Rien n'est plus mal aisé que de faire montre de son argent dans une ville de province, où il est de bon ton de n'en jamais rien montrer. Ainsi, celui qui, malgré tous les obstacles, serait parvenu à amasser en moins d'une génération, par un coup du sort presque magique, une fortune considérable, ne saurait rien en faire. Se ferait-il construire un palais, que ce serait une attraction de foire. Rachèterait-il un quartier que ses voisins continueraient de lui préférer la sous-préfecture. Aristide était pourtant dans cette forme d'aporie, de vouloir jouir à Plassans comme il l'aurait fait à Paris d'une fortune imaginaire que toute la province ne laissait de lui refuser.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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