Diégèse | |||||||||
lundi 31 mars 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Pierre Rougon était un fils de paysan. La famille de sa mère, les Fouque, comme on les nommait, possédait, vers la fin du siècle dernier, un vaste terrain situé dans le faubourg, derrière l'ancien cimetière Saint-Mittre ; ce terrain a été plus tard réuni au Jas-Meiffren. Les Fouque étaient les plus riches maraîchers du pays ; ils fournissaient de légumes tout un quartier de Plassans. Le nom de cette famille s'éteignit quelques années avant la révolution. Une fille seule resta, Adélaïde, née en 1768, et qui se trouva orpheline à l'âge de dix-huit ans. Cette enfant, dont le père mourut fou, était une grande créature, mince, pâle, aux regards effarés, d'une singularité d'allures qu'on put prendre pour de la sauvagerie tant qu'elle resta petite fille. Mais, en grandissant, elle devint plus bizarre encore ; elle commit certaines actions que les plus fortes têtes du faubourg ne purent raisonnablement expliquer et, dès lors, le bruit courut qu'elle avait le cerveau fêlé comme son père. Elle se trouvait seule dans la vie, depuis six mois à peine, maîtresse d'un bien qui faisait d'elle une héritière recherchée, quand on apprit son mariage avec un garçon jardinier, un nommé Rougon, paysan mal dégrossi, venu des Basses-Alpes. Ce Rougon, après la mort du dernier des Fouque qui l'avait loué pour une saison, était resté au service de la fille du défunt. De serviteur à gages, il passait brusquement au titre envié de mari. Ce mariage fut un premier étonnement pour l'opinion ; personne ne put comprendre pourquoi Adélaïde préférait ce pauvre diable, épais, lourd, commun, sachant à peine parler français, à tels et tels jeunes gens, fils de cultivateurs aisés, qu'on voyait rôder autour d'elle depuis longtemps. Et comme en province rien ne doit rester inexpliqué, on voulut voir un mystère quelconque au fond de cette affaire, on prétendit même que le mariage était devenu une absolue nécessité entre les jeunes gens. Mais les faits démentirent ces médisances. |
Émile Zola 1870
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Personne ne savait précisément ce qui liait ce Rougon, dont on ne savait même s'il avait un prénom, à la riche orpheline. Il n'y avait peut-être aucun mystère. Il était là lors des derniers jours du Père Fouque et il avait aidé, alors, la jeune femme à supporter la folie de son père. C'était une de ces folies bizarres qui prennent parfois les vieillards. Il ne reconnaissait plus personne et surtout pas sa fille. Il se perdait et un soir, un voisin l'avait ramené, alors qu'il errait l'âme en peine à quelques centaines de mètres de chez lui. Rougon était alors apparu pour Adélaïde comme le repère vivant d'une vie qui était soudain devenue instable. C'était en effet une grande angoisse pour une enfant, qui aurait dû encore pouvoir compter sur la protection de son père, de le voir ainsi réduit lui-même à cette grande incapacité. Quelques jours avant sa mort, elle avait raconté dans le Faubourg que le vieil homme était devenu agressif et que Rougon avait dû lui retirer de force le fusil des mains. On ne sut jamais ce qu'il voulait en faire et si le coup de fusil qu'il préparait était pour Rougon, pour sa fille ou pour lui-même. Rougon avait sans grande peine maîtrisé le vieillard affaibli mais cette courte lutte avait accéléré la fin. Fouque était resté ensuite prostré, refusant obstinément de s'alimenter et s'affaiblissant d'heure en heure. C'est ainsi qu'il était mort sans avoir prononcé un seul mot, sans avoir échangé un seul regard avec sa fille. Rougon l'avait ensuite aidée à replacer le vieux sur le lit. Il l'avait habillé et rendu présentable pour les rares condoléances que le voisinage avait apportées à la famille. Il n'y avait aucune raison particulière qu'il disparût ensuite. Avait-il seulement où aller ? Ce qui fit que plus tard ils se marièrent et que de cette union naquit un fils qu'ils nommèrent Pierre n'était sans doute que la suite de cet implacable enchaînement qui, de la mort, fait naître une nouvelle vie qui hérite dès lors de l'histoire entière de ses parents. |
Daniel Diégèse 2014
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31 mars | |||||||||
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