Diégèse | |||||||||
dimanche 2 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Pendant ce temps, Rougon prenait officiellement possession de la mairie. Il n'était resté que huit conseillers municipaux ; les autres se trouvaient entre les mains des insurgés, ainsi que le maire et les deux adjoints. Ces huit messieurs, de la force de Granoux, eurent des sueurs d'angoisse, lorsque ce dernier leur expliqua la situation critique de la ville. Pour comprendre avec quel effarement ils vinrent se jeter dans les bras de Rougon, il faudrait connaître les bonshommes dont sont composés les conseils municipaux de certaines petites villes. À Plassans, le maire avait sous la main d'incroyables buses, de purs instruments d'une complaisance passive. Aussi, M. Garçonnet n'étant plus là, la machine municipale devait se détraquer et appartenir à quiconque saurait en ressaisir les ressorts. À cette heure, le sous-préfet ayant quitté le pays, Rougon se trouvait naturellement, par la force des circonstances, le maître unique et absolu de la ville ; crise étonnante, qui mettait le pouvoir entre les mains d'un homme taré, auquel, la veille, pas un de ses concitoyens n'aurait prêté cent francs. |
Émile Zola 1870
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Ce n'est pas à toutes les époques que l'on trouve pour prendre en charge la chose publique des hommes de valeur. Il y a des temps où les conseils municipaux sont faits de héros qui se dépensent sans compter et surtout sans compter pour eux-mêmes. Mais il y a aussi des époques, où l'ensemble du personnel qui constitue la classe politique est si affaibli qu'il n'y a plus rien à en attendre ni rien à en espérer. C'était le cas de la France de 1851. Et l'on peut trouver à cela plusieurs facteurs d'explication, mais, le premier et le plus important, était que le pouvoir était organisé de sorte à ce qu'il n'y ait aucune forme d'intérêt à s'engager pour la chose publique. Le pouvoir réel était ailleurs que dans les instances supposées gouverner. Les conseils municipaux n'étaient que des assemblées factices qui entérinaient les ordres qui leur venaient de plus haut. Le gouvernement-même semblait sous la pression de puissances financières qui le dépassaient. Alors, il n'y avait que quelques fantoches encore sensibles aux apparences du pouvoir pour siéger dans les palais de la République désertés par l'esprit. |
Daniel Diégèse 2014
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Le premier acte de
Pierre fut de
déclarer en permanence la commission
provisoire. Puis il s'occupa de la réorganisation de la garde
nationale, et
réussit à mettre sur pied trois cents hommes ; les cent
neuf fusils restés dans le hangar furent distribués, ce qui porta à
cent cinquante le nombre des hommes armés par la réaction ; les cent
cinquante autres gardes nationaux étaient des bourgeois de bonne
volonté et des soldats à Sicardot. Quand le commandant
Roudier passa la
petite armée en revue sur la place de l'Hôtel-de-Ville, il fut désolé
de voir que les marchands de légumes riaient en dessous ; tous
n'avaient pas d'uniforme, et certains se tenaient bien drôlement, avec
leur chapeau noir, leur redingote et leur fusil. Mais,
au fond,
l'intention était bonne. Un poste fut laissé à la mairie. Le reste de
la petite armée fut dispersé, par pelotons, aux différentes portes de
la ville. Roudier se réserva le commandement du poste de la Grand Porte, la plus menacée. Rougon, qui se sentait très fort en ce moment, alla lui-même rue Canquoin, pour prier les gendarmes de rester chez eux, de ne se mêler de rien. Il fit, d'ailleurs, ouvrir les portes de la gendarmerie, dont les insurgés avaient emporté les clefs. Mais il voulait triompher seul, il n'entendait pas que les gendarmes pussent lui voler une part de sa gloire. S'il avait absolument besoin d'eux, il les appellerait. Et il leur expliqua que leur présence, en irritant peut-être les ouvriers, ne ferait qu'aggraver la situation. Le brigadier le complimenta beaucoup sur sa prudence. Lorsqu'il apprit qu'il y avait un homme blessé dans la caserne, Rougon voulut se rendre populaire, il demanda à le voir. Il trouva Rengade couché, l'œil couvert d'un bandeau, avec ses grosses moustaches qui passaient sous le linge. Il réconforta, par de belles paroles sur le devoir, le borgne jurant et soufflant, exaspéré de sa blessure, qui allait le forcer à quitter le service. Il promit de lui envoyer un médecin. « Je vous remercie bien, monsieur, répondit Rengade ; mais, voyez-vous, ce qui me soulagerait mieux que tous les remèdes, ce serait de tordre le cou au misérable qui m'a crevé l'œil. Oh !, je le reconnaîtrai ; c'est un petit maigre, pâlot, tout jeune… » Pierre se souvint du sang qui couvrait les mains de Silvère. Il eut un léger mouvement de recul, comme s'il eût craint que Rengade ne lui sautât à la gorge, en disant : « C'est ton neveu qui m'a éborgné ; attends, tu vas payer pour lui ! » Et, tandis qu'il maudissait tout bas son indigne famille, il déclara solennellement que, si le coupable était retrouvé, il serait puni avec toute la rigueur des lois. « Non, non, ce n'est pas la peine, répondit le borgne ; je lui tordrai le cou. » |
Émile Zola 1870
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L'esprit
de vengeance qui animait Rengade était tout autant compréhensible que
sans objet. Il y avait au fond de lui cette parcelle de vérité qui fait
entendre sa voix calme et posée au cœur même de la colère. Rien ni
personne ne rendrait à Rengade son œil crevé et surtout pas la mort
d'un enfant. Mais le gendarme avait décidé de ne rien entendre de cette
voix calme, de cette voix calmée, de cette voix posée. Il laissait tout
au contraire libre cours à sa colère, lui permettant de prendre
entièrement possession de sa personne. Couché sur son lit avec son
linge sanguinolent, il n'était plus que ressentiment. C'était pourtant,
avant le malencontreux accident qui lui avait valu de perdre cet œil,
un homme bon et reconnu comme tel par toute la ville. Ses moustaches
fournies étaient célèbres dans le pays entier, et quand les garnements
qui volaient les fruits qui dépassaient des murs le long de la route de
Nice le voyaient arriver, ils savaient qu'ils ne risquaient rien qu'une
réprimande bourrue mais sympathique, et qu'ils s'en tireraient avec une
promesse jamais tenue de ne pas recommencer. Il aurait d'ailleurs pu,
dans l'exercice de ses fonctions, rencontrer Miette et Silvère, le
soir, en tendre maraude, la jeune fille tenant encore dans la main un
des fruits qu'elle aimait à chaparder. Il n'aurait peut-être même rien
dit de crainte d'embarrasser des amoureux si jeunes, si innocents.
Peut-être qu'il aurait même ressenti une forme d'indulgence tendre à
l'égard des deux enfants. Mais l'heure n'était plus à la tendresse ni à
l'indulgence ; la folie de la vengeance régnait sur lui. La vengeance est irrationnelle. Elle participe de cette volonté incongrue de faire en sorte que ce qui est ne soit pas, que ce qui fut ne fût pas, que ce qui devait arriver n'arrivât pas. C'est ainsi que la vengeance peut même s'exercer sur des objets ou des êtres inanimés. On a vu ainsi des personnes, la veille encore réputées saines d'esprit, frapper un cadavre dont la mort seule ne suffisait pas à les venger. Mais, au-delà même de ces situations extrêmes, qui n'a jamais donné un coup de pied à la chaise contre laquelle il vient de buter, endolorissant un petit doigt de pied sans pourtant que cela ait aucune conséquence ? C'est que cela ne devait pas arriver, et que par un acte presque magique, un coup de pied, l'esprit de l'homme, qui sait être irrationnel tout autant que rationnel, voudrait inverser le cours du temps ou entrer dans une autre de ses dimensions où la chaise n'aurait pas été là, où le pied aurait évité la chaise, où le doigt de pied n'aurait connu aucune douleur. Mais cela n'arrive jamais. Le doigt de pied guérit vite de sa douleur. Le cadavre n'est ni plus ni moins cadavre d'avoir reçu des coups de pied. Et Rengade, tout fâché qu'il fût d'avoir perdu un œil en tirerait une gloire durable qui lui donnerait même droit à pension de l'État. |
Daniel Diégèse 2014
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2 novembre | |||||||||
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