Diégèse | |||||||||
jeudi 6 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Les
dormeurs se réveillèrent effarés. Granoux crut à un appel aux
armes. « Hein ? quoi ? qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, en remettant précipitamment sa calotte de soie noire dans la poche. – Messieurs, dit Roudier essoufflé, sans songer à prendre aucune précaution oratoire, je crois qu'une bande d'insurgés s'approche de la ville. » Ces mots furent accueillis par un silence épouvanté. Rougon seul eut la force de dire : « Vous les avez vus ? – Non, répondit l'ancien bonnetier ; mais nous entendons d'étranges bruits dans la campagne ; un de mes hommes m'a affirmé qu'il avait aperçu des feux courant sur la pente des Garrigues. » Et, comme tous ces messieurs se regardaient avec des visages blancs et muets : « Je retourne à mon poste, reprit-il ; j'ai peur de quelque attaque. Avisez de votre côté. » Rougon voulut courir après lui, avoir d'autres renseignements ; mais il était déjà loin. Certes, la commission n'eut pas envie de se rendormir. Des bruits étranges ! des feux, une attaque ! et cela, au milieu de la nuit ! Aviser, c'était facile à dire, mais que faire ? Granoux faillit conseiller la même tactique qui leur avait réussi la veille : se cacher, attendre que les insurgés eussent traversé Plassans, et triompher ensuite dans les rues désertes. Pierre, heureusement, se souvenant des conseils de sa femme, dit que Roudier avait pu se tromper, et que le mieux était d'aller voir. Certains membres firent la grimace ; mais quand il fut convenu qu'une escorte armée accompagnerait la commission, tous descendirent avec un grand courage. En bas, ils ne laissèrent que quelques hommes ; ils se firent entourer par une trentaine de gardes nationaux ; puis ils s'aventurèrent dans la ville endormie. La lune seule, glissant au ras des toits, allongeait ses ombres lentes. Ils allèrent vainement le long des remparts, de porte en porte, l'horizon muré, ne voyant rien, n'entendant rien. Les gardes nationaux des différents postes leur dirent bien que des souffles particuliers leur venaient de la campagne, par-dessus les portails fermés ; ils tendirent l'oreille sans saisir autre chose qu'un bruissement lointain, que Granoux prétendit reconnaître pour la clameur de la Viorne. |
Émile Zola 1870
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Essayer d'entendre un bruit ténu dans le silence de la nuit, ou bien tenter de déceler un point dans un paysage nocturne, sont des exercices qui plongent celui qui s'y livre dans les affres de l'angoisse car son esprit fait l'espace d'un instant l'expérience de la surdité et celle de la cécité. Et pourtant, il voit, puisqu'il n'est pas aveugle ; il entend, puisqu'il n'est pas sourd. Son esprit et ses sens entrent alors en conflit, ce qui ne se produit jamais sans provoquer quelque douleur et quelque trouble. L'esprit peine à demeurer longtemps sans interpréter ce que les sens perçoivent ou croient percevoir. Ainsi, commencent les fantasmagories. Granoux croyait ainsi entendre le bruit caractéristique de la rivière, oubliant alors qu'il était impossible de l'entendre de là où il se trouvait, fût-ce dans le silence de la nuit de Plassans. Il n'entendait en quelque sorte que son souvenir. Il en eût été de même s'il avait scruté la campagne une nuit de brume sans lune. Il aurait cru voir une ombre se glisser derrière un platane et cette ombre n'aurait été qu'une légère variation de sa vision provoquée par une lampe déplacée derrière lui. Ainsi, ce que les hommes croient entendre et croient voir est composé d'une part de ce que l'on peut nommer la réalité et d'une part de leur propre acte de perception. On peut donc en conclure sans crainte de beaucoup se tromper que personne n'a vraiment accès au réel et que le témoin le plus précis, le plus fidèle dans son témoignage ne pourra faire autrement que d'y glisser un peu de lui-même. S'ajoute à cela un élément qui vient perturber la perception : l'émotion. Que l'on regarde un objet, une scène, un paysage dans un état de joie ou de tristesse, de colère ou d'apaisement et cet objet, cette scène, ce paysage ne seront pas identiques. Chacun a fait cette expérience. On regarde cette vallée où l'on s'est promené tant de fois avec un être cher disparu depuis lors et la vallée entière devient un lieu de déploration. Cet arbre là-bas sanglote et la rumeur des flots se fait ruissellement de larmes. Le soleil radieux n'y fait rien, ni même les cris des jeux des enfants. La vallée hier encore riante et joyeuse est devenue sous l'effet de l'émotion du deuil ou de la séparation un lieu de deuil, un cimetière de la perception. Granoux prétendait reconnaître le son mélodieux de la Viorne qui, sous l'effet de son anxiété devenait peu à peu aussi puissant qu'un roulement de tambour. |
Daniel Diégèse 2014
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6 novembre | |||||||||
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