Diégèse | |||||||||
dimanche 9 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
« Voilà
maintenant que j'entends la Marseillaise », dit Granoux d'une
voix éteinte.
C'était encore vrai. Une bande devait suivre la Viorne et passer, à ce
moment, au bas même de la ville ; le cri : « Aux
armes, citoyens !
formez vos bataillons ! » arrivait, par
bouffées, avec une netteté
vibrante. Ce fut une nuit atroce. Ces messieurs la passèrent, accoudés
sur le parapet de la terrasse, glacés par le terrible froid qu'il
faisait, ne pouvant s'arracher au spectacle de cette plaine toute
secouée par le tocsin et la Marseillaise, tout enflammée par
l'illumination des signaux. Ils s'emplirent les yeux de cette mer
lumineuse, piquée de flammes sanglantes ; ils se firent sonner les
oreilles, à écouter cette clameur vague ; au point que leurs sens se
faussaient, qu'ils voyaient et entendaient d'effrayantes choses. Pour
rien au monde, ils n'auraient quitté la place ; s'ils avaient tourné le
dos, ils se seraient imaginé qu'une armée était à leurs trousses. Comme
certains poltrons, ils voulaient voir venir le danger, sans doute pour
prendre la fuite au bon moment. Aussi, vers le matin, quand la lune fut
couchée, et qu'ils n'eurent plus devant eux qu'un abîme noir, ils
éprouvèrent des transes horribles. Ils se croyaient entourés d'ennemis
invisibles qui rampaient dans l'ombre, prêts à leur sauter à la gorge.
Au moindre bruit, c'étaient des hommes qui se consultaient au bas de la
terrasse, avant de l'escalader. Et rien, rien que du noir, dans lequel
ils fixaient éperdument leurs regards. Le marquis, comme pour les
consoler, leur disait de sa voix ironique : « Ne vous inquiétez donc pas ! Ils attendront le point du jour. » Rougon maugréait. Il sentait la peur le reprendre. Les cheveux de Granoux achevèrent de blanchir. L'aube parut enfin avec des lenteurs mortelles. Ce fut encore un bien mauvais moment. Ces messieurs, au premier rayon, s'attendaient à voir une armée rangée en bataille devant la ville. |
Émile Zola 1870
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Ils avaient raison. Il y avait bien une armée au bas de la muraille, choisissant ce morceau de rempart écroulé pour lancer leur assaut implacable. Ils étaient fort nombreux et très déterminés à prendre la ville. Mais ce n'étaient pas les insurgés que les réactionnaires de Plassans, dans leur peur irrépressible, cherchaient en vain à voir par ce matin sans lune. Ce n'étaient pas ces paysans et ces ouvriers républicains qui croyaient à la liberté, à l'égalité et à la fraternité comme on croit à cela dans ces campagnes de Provence, où la liberté, l'égalité et la fraternité sont choses naturelles. Ce n'étaient pas eux, mais c'étaient leurs pères et leurs aïeux. Tous les esprits de celles et de ceux qui, les siècles passés, avaient été humiliés, réprimés, exploités, étaient massés sous la muraille et faisaient des plans de bataille. Quand les esprits des défunts se rassemblent, c'est qu'ils viennent d'accueillir de nouveaux arrivants. Les morts du massacre de Sainte-Roure avaient rejoint les défunts des jacqueries du moyen-âge, les soldats réfractaires de toutes les conscriptions, les fusillés de Toulon et de tous les environs, les guillotinés sur les places centrales et aussi les pendus d'avant la guillotine. Ils formaient cette cohorte des morts injustement tués, qui ne cesse de grossir au fur et à mesure que l'humanité se déploie, et qui ne cessera de s'enfler avec les guerres civiles et les guerres étrangères. Ils forment une armée d'ombres et peuvent parfois donner remords et mauvaise conscience aux vivants et aux survivants. Puisse venir le temps d'amour et de douceur où l'on déclarerait tarie la source des morts injustes ! Mais l'homme est ainsi fait qu'à peine cette déclaration solennellement proclamée, l'esprit d'un jeune homme ou d'un vieillard, injustement tué par la force publique, pour un délit d'opinion ou pour toute autre cause, ou encore l'esprit d'un soldat enrôlé de force et tué au champ de bataille viendraient rejoindre la nuée des anciens morts éplorés. |
Daniel Diégèse 2014
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