Diégèse | |||||||||
jeudi 27 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Les deux derniers
fidèles, Granoux lui-même,
se tinrent prudemment chez
eux. De cette commission, dont les membres s'étaient évanouis, à mesure
que la panique soufflait plus forte, il n'y avait que Rougon qui restât
à son poste, sur son fauteuil de président. Il ne daigna pas même
envoyer un ordre de convocation. Lui seul, et c'était assez. Sublime spectacle qu'un journal de la localité devait plus tard caractériser d'un mot : « le courage donnant la main au devoir. » Pendant toute la matinée, on vit Pierre emplir la mairie de ses allées et venues. Il était absolument seul, dans ce grand bâtiment vide, dont les hautes salles retentissaient longuement du bruit de ses talons. D'ailleurs, toutes les portes étaient ouvertes. Il promenait au milieu de ce désert sa présidence sans conseil, d'un air si pénétré de sa mission, que le concierge, en le rencontrant deux ou trois fois dans les couloirs, le salua d'un air surpris et respectueux. On l'aperçut derrière chaque croisée et, malgré le froid vif, il parut à plusieurs reprises sur le balcon, avec des liasses de papiers dans les mains, comme un homme affairé qui attend des messages importants. Puis, vers midi, il courut la ville ; il visita les postes, parlant d'une attaque possible, donnant à entendre que les insurgés n'étaient pas loin ; mais il comptait, disait-il, sur le courage des braves gardes nationaux ; s'il le fallait, ils devaient se faire tuer jusqu'au dernier pour la défense de la bonne cause. Quand il revint de cette tournée, lentement, gravement, avec l'allure d'un héros qui a mis ordre aux affaires de sa patrie, et qui n'attend plus que la mort, il put constater une véritable stupeur sur son chemin ; les promeneurs du Cours, les petits rentiers incorrigibles qu'aucune catastrophe n'aurait pu empêcher de venir bayer au soleil, à certaines heures, le regardèrent passer d'un air ahuri, comme s'ils ne le reconnaissaient pas et qu'ils ne pussent croire qu'un des leurs, qu'un ancien marchand d'huile eût le front de tenir tête à toute une armée. |
Émile Zola 1870
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Un observateur arrivé par hasard d'un autre pays, et ne connaissant rien à la situation, une sorte de Huron tel que Voltaire s'est amusé à le dépeindre, n'aurait pas mis longtemps à distinguer le ridicule de la situation. Il se serait tout d'abord demandé ce que faisait ce gros homme en plein hiver sur le balcon d'une grande maison vide, avec des papiers dans les mains, qu'il ne lisait pas plus qu'il ne les brûlait. Il aurait ensuite observé ses allées et venues avec tout autant de perplexité. Car, il ne fallait pas être grand sorcier pour déceler dans la posture que Rougon avait adoptée un de ces airs factices que prennent dans les mauvais théâtres ceux qui jouent le mauvais rôle. C'était bien un mauvais rôle que jouait là le père Rougon, que de maintenir le bon peuple de la ville de Plassans dans l'inquiétude sinon l'angoisse, alors que lui-même savait qu'il ne courait aucun risque véritable. Le droit ne définit pas, ou ne définit pas encore, le délit d'inquiétude, qui pourrait même parfois être qualifié de crime. Serait ainsi incriminé tout gouvernement, d'une ville, d'une province ou d'un pays tout entier qui maintiendrait ses administrés dans l'inquiétude aux fins de lui faire accepter des décisions auxquelles, en temps ordinaire, il ne consentirait pas, ou encore qui se maintiendrait au pouvoir en feignant de se rendre indispensable. Si le droit ne reconnaît pas ce crime, l'histoire, souvent plus lucide que le droit, quant à elle, le reconnaît parfaitement et l'on a vu des rois inventer des famines pour garder leur trône, comme on a vu des pères inventer des loups sauvages pour garder leurs enfants sous leur toit. Notre Huron de Plassans, amusé, aurait très certainement considéré que les habitants étaient de ces enfants qui avaient peur du loup. Les campagnes étaient vides. Les cloches ne sonnaient plus. L'air sec et transparent de l'hiver de Provence piquait la peau du voyageur et rosissait ses joues. Les odeurs, endormies par le froid, renaissaient au soleil à mesure de la marche. La révolte des insurgés semblait déjà s'être évanouie dans le passé, gardée dans quelques mémoires par l'histoire soucieuse et revancharde. |
Daniel Diégèse 2014
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27 novembre | |||||||||
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