Diégèse | |||||||||
vendredi 28 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Dans la ville,
l'anxiété était à son comble. D'un instant à l'autre, on
attendait la bande insurrectionnelle. Le bruit de l'évasion
de Macquart fut
commenté d'une effrayante façon. On prétendit qu'il avait été
délivré par ses amis les rouges, et qu'il attendait la
nuit, dans
quelque coin, pour se jeter sur les habitants et mettre le feu aux
quatre coins de la ville. Plassans, cloîtré, affolé, se
dévorant
lui-même dans sa prison de murailles, ne savait plus qu'inventer pour
avoir peur. Les républicains, devant la fière
attitude de Rougon, eurent une courte
méfiance. Quant à la ville neuve, aux avocats et aux
commerçants retirés, qui la veille déblatéraient contre le salon jaune,
ils furent si surpris, qu'ils n'osèrent plus attaquer ouvertement un
homme d'un tel courage. Ils se contentèrent de dire qu'il y avait folie
à braver ainsi des insurgés victorieux et que cet
héroïsme inutile
allait attirer sur Plassans les plus grands
malheurs. Puis, vers trois
heures, ils organisèrent une députation. Pierre, qui brûlait du désir
d'afficher son dévouement devant ses concitoyens, n'osait cependant pas
compter sur une aussi belle occasion. Il eut des mots sublimes. Ce fut dans le cabinet du maire que le président de la commission provisoire reçut la députation de la ville neuve. Ces messieurs, après avoir rendu hommage à son patriotisme, le supplièrent de ne pas songer à la résistance. Mais lui, d'une voix haute, parla du devoir, de la patrie, de l'ordre, de la liberté, et d'autres choses encore. D'ailleurs, il ne forçait personne à l'imiter ; il accomplissait simplement ce que sa conscience, son cœur lui dictaient. « Vous le voyez, messieurs, je suis seul, dit-il en terminant. Je veux prendre toute la responsabilité pour que nul autre que moi ne soit compromis. Et, s'il faut une victime, je m'offre de bon cœur ; je désire que le sacrifice de ma vie sauve celle des habitants. » Un notaire, la forte tête de la bande, lui fit remarquer qu'il courait à une mort certaine. « Je le sais, reprit-il gravement. Je suis prêt ! » Ces messieurs se regardèrent. Ce « Je suis prêt ! » les cloua d'admiration. Décidément, cet homme était un brave. Le notaire le conjura d'appeler à lui les gendarmes ; mais il répondit que le sang de ces soldats était précieux et qu'il ne le ferait couler qu'à la dernière extrémité. La députation se retira lentement, très émue. Une heure après, Plassans traitait Rougon de héros ; les plus poltrons l'appelaient « un vieux fou ». Vers le soir, Rougon fut très étonné de voir accourir Granoux. L'ancien marchand d'amandes se jeta dans ses bras, en l'appelant « grand homme », et en lui disant qu'il voulait mourir avec lui. Le « Je suis prêt ! » que sa bonne venait de lui rapporter de chez la fruitière, l'avait réellement enthousiasmé. Au fond de ce peureux, de ce grotesque, il y avait des naïvetés charmantes. Pierre le garda, pensant qu'il ne tirait pas à conséquence. Il fut même touché du dévouement du pauvre homme ; il se promit de le faire complimenter publiquement par le préfet, ce qui ferait crever de dépit les autres bourgeois, qui l'avaient si lâchement abandonné. Et tous deux ils attendirent la nuit dans la mairie déserte. |
Émile Zola 1870
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Chaque
époque a les héros qui lui ressemblent et les héros qu'elle mérite. Ce
coup d'État parisien qui venait solder une République qui n'avait que
trois ans et qui, en seulement trois ans, avait réussi à trahir
copieusement tous ceux qui l'avaient portée, puis fait naître, n'avait
rien de grandiose, ni même, en fait, rien de périlleux. Il était donc
normal, sinon attendu, que dans une sous-préfecture reculée telle que
Plassans, les répliques atténuées du coup d'État du 2 décembre prennent
l'allure de petites secousses et que la population, pour la sauver d'un
tremblement de terre qui n'existait que dans les têtes, trouve un
Rougon comme homme providentiel. Il en a toujours été ainsi et il en
sera certainement toujours sans doute ainsi. Pourtant, en 1848, il y
avait eu des héros et des sacrifices, des gestes qui n'étaient pas des
postures, des drames qui n'étaient pas de pacotille et de grands
sentiments qui n'étaient pas de beaux sentiments. Il y avait eu tout
cela et tant d'espoir aussi dans le drapeau rouge et dans le drapeau
tricolore. Puis, tout s'était délité. Un à un, les idéaux républicains
s'étaient dissouts dans la timidité, l'indécision, la frilosité
coupable. Mais, ce qui avait été le plus grave, et ce qui avait permis
qu'un homme sans envergure vînt prendre le pouvoir qui lui était
offert, c'était que la République, sans broncher ou presque, avait
laissé monter la réaction comme étant l'expression du bon sens. C'est
une tactique que les conservateurs, et parmi les plus durs, utilisent
toujours contre l'humanisme, que celle de présenter l'ordre établi
comme étant l'ordre naturel et les volontés de réforme comme étant une lutte, de fait
contre nature. La tactique fonctionne bien qu'elle soit
grossière. Elle permet ainsi de justifier sans encombre la traite
africaine et l'oppression des femmes, le travail des enfants,
l'emprisonnement des fous et tous les mauvais traitements afférents,
l'exploitation des pauvres et les bas salaires. Elle justifie les
inégalités par l'inégalité des mérites et si ce n'est pas suffisant
elle y ajoute sans honte la providence d'un Dieu qui n'a pourtant rien
demandé. Le peuple n'a jamais intérêt à écouter ceux qui lui parlent de
bon sens car ce sont toujours des trompeurs. Il n'y a pas
d'amélioration sociale sans lutte contre ce que les conservateurs
appellent le bon sens. Toutes les libertés qui ont été gagnées l'ont
été contre ce fameux bon sens. Ce n'est pas le bon sens qui a fait que
les crimes sont devenus des crimes, car il y a un certain bon sens à
tuer celui qui vient sur vos terres. Le règne du droit, lui-même,
s'impose en combattant le bon sens. Rougon, dans l'hôtel de ville, avec son compère Granoux, c'était le règne apparent du bon sens, et peu importait qu'ils fussent des coquins. Les coquins trouvent aussi dans le bon sens un abri confortable. Il permet en effet à toutes les bassesses de s'exprimer largement, aux petites combines comme aux grandes combines qui conduisent aux grandes affaires. Il y avait quelque chose de bien pitoyable à voir ces deux bourgeois falots se comporter en héros. Un observateur lucide de cette situation grotesque en eût conçu de la tristesse sinon de l'angoisse en y voyant l'annonce de ce qui allait se passer dans les mois et les années qui suivraient cette pantalonnade. Une lumière brillait dans la nuit. Ce n'était pas celle de l'esprit. |
Daniel Diégèse 2014
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28 novembre | |||||||||
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