Diégèse | |||||||||
samedi 29 novembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
À la
même heure, Aristide se promenait chez lui
d'un air profondément
inquiet. L'article de Vuillet l'avait surpris. L'attitude de son père le stupéfiait, Il venait de l'apercevoir à une fenêtre, en cravate blanche, en redingote noire, si calme à l'approche du danger, que toutes ses idées étaient bouleversées dans sa pauvre tête. Pourtant les insurgés revenaient victorieux, c'était la croyance de la ville entière. Mais des doutes lui venaient, il flairait quelque farce lugubre. N'osant plus se présenter chez ses parents, il y avait envoyé sa femme. Quand Angèle revint, elle lui dit de sa voix traînante : « Ta mère t'attend : elle n'est pas en colère du tout, mais elle a l'air de se moquer joliment de toi. Elle m'a répété à plusieurs reprises que tu pouvais remettre ton écharpe dans ta poche. » Aristide fut horriblement vexé. D'ailleurs, il courut à la rue de la Banne, prêt aux plus humbles soumissions. Sa mère se contenta de l'accueillir avec des rires de dédain. « Ah ! mon pauvre garçon, lui dit-elle en l'apercevant, tu n'es décidément pas fort. – Est-ce qu'on sait, dans un trou comme Plassans s'écria-t-il avec dépit. J'y deviens bête, ma parole d'honneur. Pas une nouvelle, et l'on grelotte. C'est d'être enfermé dans ces gredins de remparts… Ah ! si j'avais pu suivre Eugène à Paris ! » Puis, amèrement, voyant que Félicité continuait à rire : « Vous n'avez pas été gentille avec moi, ma mère. Je sais bien des choses, allez… Mon frère vous tenait au courant de ce qui se passait, et jamais vous ne m'avez donné la moindre indication utile. – Tu sais cela ? toi, dit Félicité devenue sérieuse et méfiante. Eh bien, tu es alors moins bête que je ne croyais. Est-ce que tu décachetterais les lettres, comme quelqu'un de ma connaissance ? – Non, mais j'écoute aux portes », répondit Aristide avec un grand aplomb. Cette franchise ne déplut pas à la vieille femme. Elle se remit à sourire, et, plus douce : « Alors, bêta, demanda-t-elle, comment se fait-il que tu ne te sois pas rallié plus tôt ? – Ah ! voilà, dit le jeune homme, embarrassé. Je n'avais pas grande confiance en vous. Vous receviez de telles brutes : mon beau-père, Granoux et les autres !… Et puis je ne voulais pas trop m'avancer… » Il hésitait. Il reprit d'une voix inquiète : « Aujourd'hui, vous êtes bien sûre au moins du succès du coup d'État ? – Moi ? s'écria Félicité, que les doutes de son fils blessaient, mais je ne suis sûre de rien. – Vous m'avez pourtant fait dire d'ôter mon écharpe ? – Oui, parce que tous ces messieurs se moquent de toi. » Aristide resta planté sur ses pieds, le regard perdu, semblant contempler un des ramages du papier orange. Sa mère fut prise d'une brusque impatience à le voir ainsi hésitant. « Tiens, dit-elle, j'en reviens à ma première opinion : tu n'es pas fort. Et tu aurais voulu qu'on te fit lire les lettres d'Eugène ! Mais, malheureux, avec tes continuelles incertitudes, tu aurais tout gâté. Tu es là à hésiter… – Moi, j'hésite ? interrompit-il en jetant sur sa mère un regard clair et froid. Ah ! bien, vous ne me connaissez pas. Je mettrais le feu à la ville si j'avais envie de me chauffer les pieds. Mais comprenez donc que je ne veux pas faire fausse route ! Je suis las de manger mon pain dur, et j'entends tricher la fortune. Je ne jouerai qu'à coup sûr. » Il avait prononcé ces paroles avec une telle âpreté, que sa mère, dans cet appétit brûlant du succès, reconnut le cri de son sang. Elle murmura : « Ton père a bien du courage. – Oui, je l'ai vu, dit-il en ricanant. Il a une bonne tête. Il m'a rappelé Léonidas aux Thermopyles… Est-ce que c'est toi, mère, qui lui as fait cette figure-là ? » Et, gaiement, avec un geste résolu : « Tant pis ! s'écria-t-il, je suis bonapartiste !… Papa n'est pas un homme à se faire tuer sans que ça lui rapporte gros. – Et tu as raison, dit sa mère ; je ne puis parler, mais tu verras demain. » Il n'insista pas, il lui jura qu'elle serait bientôt glorieuse de lui, et il s'en alla, tandis que Félicité, sentant se réveiller ses anciennes préférences, se disait à la fenêtre, en le regardant s'éloigner, qu'il avait un esprit de tous les diables, et que jamais elle n'aurait eu le courage de le laisser partir sans le mettre enfin dans la bonne voie. |
Émile Zola 1870
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L'opportunisme
est un sentiment naturel qui vient certainement des origines de
l'humanité. Il ne s'agit en fait de rien d'autre que de reproduire dans
le monde d'aujourd'hui ce que les hommes n'ont cessé de faire depuis le
début des générations. Car, si l'homme a froid, il se dirige vers un
endroit qui lui paraît plus chaud et s'il a trop chaud, il se dirige
alors vers un endroit qui lui paraît plus frais. S'il a faim, il se
tourne vers la nourriture et s'il a soif, il se rapproche d'un point
d'eau. Il en va de même évidemment de la reproduction de la race.
L'homme par la femme est attiré et la femme par l'homme. Tout cela est
naturel, comme il est naturel que l'homme protège sa famille et se
fasse pour cela guerrier quand la femme, demeurée près de son nouveau
né, s'occupe à préserver les vivres pour elle et pour ses enfants. Il
est donc naturel de se soumettre au plus fort et de changer en cela
d'opinion au gré des événements. Ainsi, il n'y a rien de plus naturel
que la trahison. Tout cela est bien banal, de cette cruauté des
raisonnements faciles et si facilement formés que l'on parvient sans
grand encombre à proférer des absurdités. Prêcher la nature et le
naturel pour justifier l'action des hommes, leur mode de vie et leurs
mœurs est en effet stupide. Car, à bien y considérer, l'histoire de
l'humanité n'a rien été d'autre que de s'éloigner de ce que la nature
dictait. S'il fait froid, il faut accepter le froid et il n'y a donc
aucune raison naturelle de se couvrir. La chose est vraie quand il fait
chaud et il serait naturel de griller sur place. Dès qu'il s'agit de
l'homme, il n'y a aucune possibilité d'évoquer la nature car l'homme
est inséparable de son humanité, et cette humanité est certainement
aussi ancestrale que pourraient l'être la nature supposée première.
Cette prétention à donner aux traditions des vertus plus importantes
que les coutumes nouvelles est d'ailleurs tout autant absurde. On
devrait renvoyer au Moyen-âge, et même avant, toutes ces personnes bien
pensantes qui nous servent midi et soir de la tradition. On les verrait
se vêtir traditionnellement et en avoir le corps tout irrité, se
nourrir tout aussi traditionnellement et en être malade à en mourir.
Tous ceux qui prêchent la tradition ne supporteraient pas très
longtemps qu'on la leur impose. L'argument chronologique même ne tien
pas. Personne ne peut en effet affirmer véritablement que l'humanité de
l'homme, sa compassion, sa pitié et même sa charité soient postérieures
à ses penchants définis comme mauvais. La fidélité n'est pas dans
l'esprit de l'homme postérieure à la trahison, non plus que la loyauté. La scène qui se jouait entre la mère et son fils, comme un assaut improvisé de rouerie et de convoitise, entre ces deux êtres liés par le sang et prêts à tout pour obtenir un pouvoir dérisoire leur délivrant des avantages tout autant dérisoires, avait quelque chose de tragique. Ceux qui sont prêts à trahir sont prêts toujours à se trahir eux-mêmes. Aristide, au milieu de ses diatribes républicaines, l'espace d'un instant, croyait à la République et quand, enflammé, il disait qu'il mourrait pour elle, l'espace de ce même instant, il y croyait vraiment. Il a des êtres ainsi qui sont faits de discontinuités. Chez certains, ces discontinuités sont si rapprochées que l'on peine à croire qu'il s'agit bien de la même personne. Aristide lui, vivait sur des périodes longues. Il était républicain puisque c'était la république. Il serait pour l'Empire puisque ce serait l'Empire et si le roi était revenu, il aurait été monarchiste. tout cela allait de soi. Il n'y avait rien à en dire. Ce qu'il ne voyait pas, ou ce qu'il ne voulait pas voir, c'est qu'il ne faisait qu'imiter sa mère. quand Félicité voyait l'effet de son sang, il ne fallait y voir que celui du mimétisme. Le jeune homme, certes, voulait vivre dans l'aisance et jouir de cette aisance nouvelle, mais son ressort secret était qu'il voulait faire plaisir à sa mère. Et l'on connaît l'emprise que les mères ont sur leurs fils au bord de la Méditerranée. Son frère Pascal s'abîmait quant à lui les yeux sur des livres mal imprimés pour s'éloigner de cette influence qu'il jugeait mauvaise et dont il cherchait même, avec ses études des familles et de leurs tares, à retracer dans l'histoire familiale. Il avait compris assez tôt, par cette sagacité que peuvent avoir parfois les jeunes enfants, qu'il était issu de deux femmes étranges qu'il fallait tenir à distance. Adélaïde, sa grand-mère, lui avait montré comment la passion amoureuse pouvait brûler un être tout entier. Félicité, sa mère lui montrait quant à elle combien la passion pour le pouvoir et pour l'argent pouvaient tout autant dévaster un être. Pascal savait les deux femmes perdues. Mais, à choisir, il préférait sa grand-mère qu'il jugeait plus pure que sa mère malgré les frasques dont on l'accusait. Félicité regarda partir son fils. Elle ne l'avait pas mis seulement sur la bonne voie du bon complot. Elle l'avait remis sur la bonne voie selon elle : celle de la recherche de gains faciles et des paris véreux. |
Daniel Diégèse 2014
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