Diégèse | mercredi 15 octobre 2014 | ||
ce travail est commencé depuis 5402 jours (2 x 37 x 73 jours) | et son auteur est en vie depuis 19855 jours (5 x 11 x 192 jours) | 2014 | |
ce qui représente 27,2073% de la vie de l'auteur | |||
hier | L'atelier du texte | demain | |
La Fortune des Rougon2 |
VI |
|
Rougon, vers cinq heures
du matin, osa enfin sortir de chez sa mère. La
vieille s'était endormie sur une chaise. Il s'aventura doucement
jusqu'au bout de l'impasse Saint-Mittre. Pas un bruit, pas une ombre.
Il poussa jusqu'à la porte de Rome. Le trou de la porte, ouverte à deux
battants, béante, s'enfonçait dans le noir de la ville endormie.
Plassans dormait à poings fermés, sans paraître se douter de
l'imprudence énorme qu'il commettait en dormant ainsi les portes
ouvertes. On eût dit une cité morte. Rougon, prenant confiance,
s'engagea dans la rue de Nice. Il surveillait de loin les coins des
ruelles ; il frissonnait, à chaque creux de porte, croyant toujours
voir une bande d'insurgés lui sauter aux épaules. Mais il arriva au
cours Sauvaire sans mésaventure. Décidément, les insurgés s'étaient
évanouis dans les ténèbres, comme un cauchemar. Alors Pierre s'arrêta un instant sur le trottoir désert. Il poussa un gros soupir de soulagement et de triomphe. Ces gueux de républicains lui abandonnaient donc Plassans. La ville lui appartenait, à cette heure : elle dormait comme une sotte ; elle était là, noire et paisible, muette et confiante, et il n'avait qu'à étendre la main pour la prendre. Cette courte halte, ce regard d'homme supérieur jeté sur le sommeil de toute une sous-préfecture, lui causèrent des jouissances ineffables. Il resta là, croisant les bras, prenant, seul dans la nuit, une pose de grand capitaine à la veille d'une victoire. Au loin, il n'entendait que le chant des fontaines du cours, dont les filets d'eau sonores tombaient dans les bassins. |
Émile Zola 1870
|
Les rêves de puissance ne
sont jamais aussi forts que la nuit et chacun peut imaginer sans
encombre qu'il est le maître de tout un royaume. La nuit est ainsi
l'espace magique où les identités se transforment pour aller bien loin
parfois de leur apparence diurne. Si bien que l'on ne saurait dire
exactement quelle est la personne réelle, celle que l'on croise le jour
et qui soulève son chapeau pour vous saluer, ou bien celle qui, livrée
à elle-même dans les rues sombres de la ville, au mitant de la nuit, se
fait empereur et traverse les avenues tel un doge empourpré. C'est la
nuit que les désirs les plus secrets s'épanouissent. Il n'est pas
vraiment certain que l'on commette davantage de crimes la nuit que le
jour. Mais la part de ténèbres qui séjourne en chacun le fait craindre,
le fait croire et le fait espérer. Car l'homme est ainsi fait qu'il
désire ce qu'il craint et qu'il craint ce qu'il désire. Il n'y a point
d'âme qui ne soit pas troublée par des conflits et des paradoxes. Dans le calme de la nuit de Plassans, loin de l'agitation et des crimes qui se préparaient alors à saint-Roure, Pierre, ce gros homme sans grand courage, sans autre passion que l'argent, sentait la possibilité d'un destin. Que ce destin demeurât à l'échelle d'une sous-préfecture n'avait pour lui aucune importance. Il connaissait Paris, qu'il laissait bien volontiers à son fils Eugène. Paris ne suscitait en lui aucun désir. Il était de ceux qui veulent régner chez eux et qui ne verraient aucun intérêt à devenir le maître du village voisin. Antique atavisme qui fait de chaque homme un sédentaire, comme Rougon, ou un nomade, comme Macquart. |
Daniel Diégèse 2014
|
|
2009 | 2008 | 2007 | 2006 | 2005 | 2004 | 2003 | 2002 | 2001 | 2000 |
|
|
|
|
|
|
2013 | 2012 | 2011 | 2010 |