Diégèse | |||||||||
mardi 16 septembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Le lendemain, dès qu'il entendit l'enfant poser sa cruche, il ouvrit doucement la porte, dont il déblaya d'une poussée le seuil couvert de longues herbes. En allongeant la tête, il aperçut Miette penchée sur la margelle, regardant dans le puits, tout absorbée par l'attente. Alors, il gagna en deux enjambées l'enfoncement fourré par le mur, et, de là, il appela : « Miette ! Miette ! » d'une voix adoucie qui la fit tressaillir. Elle leva la tête, le croyant sur le chaperon du mur. Puis, quand elle le vit dans le Jas, à quelques pas d'elle, elle eut un léger cri d'étonnement, elle accourut. Ils se prirent les mains ; ils se contemplaient, ravis d'être si près l'un de l'autre, se trouvant bien plus beaux ainsi, dans la lumière chaude du soleil. C'était la mi-août, le jour de l'Assomption ; au loin les cloches sonnaient, dans cet air limpide des grandes fêtes, qui semble avoir des souffles particuliers de gaietés blondes. |
Émile Zola 1870
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Les cloches, quand elles sonnent les grandes fêtes, ou, le glas, les jours de grands malheurs, semblent modifier, par la seule vibration de l'air, le cours des choses et de la vie par leur seul mouvement. Il n'y a pas de glas qui n'assombrisse le soleil sur une campagne rieuse au printemps. Il n'y a pas de carillon qui donne un peu de joie et de réconfort au malade sur son lit de souffrances. Messagères, elles sont plus que des messagères, elles nouent d'un cordon léger le corps social d'un village, d'une ville, d'un canton même. Elles guident les bergers qui rentrent à la nuit tombée. Elles se répondent d'un coteau l'autre, dessinant un espace parallèle, qui ignore les escarpements, qui les contourne et qui amplifie la profondeur des vallées et qui fit du torrent toute une symphonie. Ce jour-là, les cloches de la Vierge ne sonnaient que pour Miette et Silvère, tant les cloches peuvent sonner aussi pour l'amour. |
Daniel Diégèse 2014
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« Bonjour, Silvère
! – Bonjour, Miette ! » Et la voix dont ils échangèrent leur salut matinal les étonna. Ils n'en connaissaient les sons que voilés par l'écho du puits. Elle leur parut claire comme un chant d'alouette. Ah ! qu'il faisait bon dans ce coin tiède, dans cet air de fête ! Ils se tenaient toujours les mains, Silvère le dos appuyé, contre le mur, Miette penchée un peu en arrière. Entre eux, le sourire mettait une clarté. Ils allaient se dire toutes les bonnes choses qu'ils n'avaient point osé confier aux sonorités sourdes du puits, lorsque Silvère, tournant la tête à un léger bruit, pâlit et lâcha les mains de Miette. Il venait de voir tante Dide devant lui, droite, arrêtée sur le seuil de la porte. |
Émile Zola 1870
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Il n'avait pas pensé qu'elle pût ainsi surgir au beau milieu de leur première rencontre, toute à sa vieillesse diaphane, elle qui ne sortait jamais le matin. Toutes ces semaines où Miette et Silvère avaient communiqué par le vieux puits complice, elle n'était pas sortie une seule fois. D'ordinaire, elle ne sortait, et encore, pas tous les jours, que le soir au coucher du soleil, se postait devant sa porte, où un mauvais banc de bois avait été aménagé et restait là figée, quelques longues minutes, fixant droit devant elle d'un air impénétrable, avant de rentrer dans la masure, silencieuse, courbée par une tristesse inextinguible qui ne se disait pas. Et là, elle se tenait devant eux, sa taille redressée, comme si elle avait rajeuni, ou comme si elle était morte, venue d'un temps ancien annoncer l'avenir. |
Daniel Diégèse 2014
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La grand-mère était venue par hasard au puits. En apercevant, dans la vieille muraille noire, la trouée blanche de la porte que Silvère avait ouverte toute grande, elle reçut au cœur un coup violent. Cette trouée blanche lui semblait un abîme de lumière creusé brutalement dans son passé. Elle se revit au milieu des clartés du matin, accourant, passant le seuil avec tout l'emportement de ses amours nerveuses. Et Macquart était là qui l'attendait. Elle se pendait à son cou, elle restait sur sa poitrine, tandis que le soleil levant, entrant avec elle dans la cour par la porte qu'elle ne prenait pas le temps de refermer, les baignait de ses rayons obliques. |
Émile Zola 1870
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Il y a de ces moments où le temps qui s'est donné pour tâche de nous faire croire qu'il suit son cours de façon linéaire et sans que rien ne puisse contrarier sa marche, révèle son mensonge et proclame qu'il n'est qu'une apparence, une convenance qui permet aux hommes de raconter leur propre histoire. Il y a ces moments, qui surviennent dans toutes les vies, où le temps s'accélère ou bien encore, ralentit. Et puis, plus rarement, il y a les moments, comme celui que vivait tant Dide, où le temps tourbillonne et se fige le temps d'un instant, où toute une vie se trouve concentrée en une seuletension, un seul bouleversement. |
Daniel Diégèse 2014
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Vision brusque qui la tirait cruellement du sommeil de sa vieillesse, comme un châtiment suprême, en réveillant en elle les cuissons brûlantes du souvenir. Jamais l'idée ne lui était venue que cette porte pût encore s'ouvrir. La mort de Macquart, pour elle, l'avait murée. Le puits, la muraille entière auraient disparu sous terre, qu'elle ne se serait pas sentie frappée d'une stupeur plus grande. Et, dans son étonnement, montait sourdement une révolte contre la main sacrilège qui, après avoir violé ce seuil, avait laissé derrière elle la trouée blanche comme une tombe ouverte. Elle s'avança, attirée par une sorte de fascination. Elle se tint immobile, dans l'encadrement de la porte. |
Émile Zola 1870
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Elle était devenue comme ces statues qui font sentinelles dans des jardins oubliés. Elle avait surgi, provoquant la surprise des deux enfants, mais pour autant, il semblait qu'elle eût toujours été là. Était-elle un spectre venu hanter les vivants, sorti d'une tombe de l'ancien cimetière Saint Mittre et allait-on entendre le cliquetis macabre des quelques os qui devaient bien lui rester ? Était-elle au contraire une statue de pierre d'une reine déchue reléguée au fond d'un parc et qui pleurait là sa gloire passée et ses amours défuntes ? Elle était tout cela, grave, dans une douleur qui excédait le cri-même. Elle tournait très doucement la tête de droite à gauche comme un automate de foire. |
Daniel Diégèse 2014 |
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Là, elle regarda
devant elle, avec une surprise douloureuse. On lui
avait bien dit que l'enclos des Fouque se trouvait réuni
au
Jas-Meiffren ; mais
elle n'aurait jamais pensé que sa jeunesse fût
morte à ce point. Un grand vent semblait avoir emporté tout ce qui
était resté cher à sa mémoire. Le vieux logis, le vaste jardin
potager,
avec ses carrés verts de légumes, avaient disparu.
Pas une pierre, pas
un arbre d'autrefois. Et, à la place de ce coin, où elle avait grandi,
et que la veille elle revoyait encore en fermant les yeux, s'étendait
un lambeau de sol nu, une large pièce de chaume désolée comme une lande
déserte. Maintenant, lorsque, les paupières closes, elle voudrait
évoquer les choses du passé, toujours ce chaume lui apparaîtrait,
pareil à un linceul de bure jaunâtre jeté sur la terre où sa jeunesse
était ensevelie. En face de cet horizon banal et indifférent, elle crut
que son cœur mourait une seconde fois. Tout, à cette heure, était bien
fini. On lui prenait jusqu'aux rêves de ses souvenirs. Alors elle regretta d'avoir cédé à la fascination de la trouée blanche, de cette porte béante sur les jours à jamais disparus. |
Émile Zola 1870
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Les cœurs sensibles ne devraient jamais retourner sur les lieux de leur jeunesse, vers le théâtre de leurs amours, de leurs émois, de leurs idylles. Ils ne peuvent y trouver que peine et désolation. Le souvenir est un menteur effronté qui, au fil des jours et des nuits, embellit, enjolive, recompose tous les paysages et toutes les scènes. Il gomme chaque détail importun qui gâcherait la scène et pourrait lui ôter tout ce qu'elle a de sublime. Le souvenir fait évoluer celui ou celle qui s'y livrent dans un monde sans insectes, à la température délicieuse et constante, à la lumière parfaite. Aucun élément disparate ne vient contredire la symétrie des collines ou l'alignement des rues. Le moindre cloaque s'est transformé en palais. Le moindre mont est devenu montagne et domine la scène aussi haut que les Alpes. Et, soudain, tout cela est détruit. Comme dans les contes, le royaume enchanté se transforme en un monde qui perd ses couleurs, où les murailles altières deviennent voûtées et bossues. Le prince et la princesse sont déjà des vieillards, à la bouché édentée, à l'haleine poisseuse et les souvenirs s'effacent laissant toute place à la peine. |
Daniel Diégèse 2014 |
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16 septembre | |||||||||
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