Diégèse | |||||||||
jeudi 18 septembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
Le soir, tante
Dide eut une de ces
crises nerveuses qui la secouaient
encore de loin en loin. Pendant ces attaques, elle parlait souvent à
voix haute, sans suite, comme dans un cauchemar. Ce soir-là,
Silvère, qui la
maintenait sur son lit, navré d'une pitié poignante pour ce
pauvre corps tordu, l'entendit prononcer en haletant les mots de
douanier, de coup de feu, de meurtre. Et elle se débattait, elle
demandait grâce, elle rêvait de vengeance. Quand la crise toucha à sa
fin, elle eut, comme il arrivait toujours, une épouvante singulière, un
frisson d'effroi qui faisait claquer ses dents. Elle se soulevait à
moitié, elle regardait avec un étonnement hagard dans les coins de la
pièce, puis se laissait retomber sur l'oreiller en poussant de longs
soupirs. Sans doute elle était prise d'hallucination. Alors elle attira
Silvère
sur sa poitrine, elle parut commencer à le reconnaître, tout en
le confondant par instants avec une autre personne. « Ils sont là, bégaya-t-elle. Vois-tu, ils vont te prendre, ils te tueront encore… Je ne veux pas… Renvoie-les, dis-leur que je ne veux pas, qu'ils me font mal, à fixer ainsi leurs regards sur moi… » Et elle se tourna vers la ruelle, pour ne plus voir les gens dont elle parlait. Au bout d'un silence : « Tu es auprès de moi, n'est-ce pas, mon enfant ? continua-t-elle. Il ne faut pas me quitter… J'ai cru que j'allais mourir, tout à l'heure… Nous avons eu tort de percer le mur. Depuis ce jour, j'ai souffert. Je savais bien que cette porte nous porterait encore malheur… Ah ! les chers innocents, que de larmes ! On les tuera, eux aussi, à coups de fusil, comme des chiens. » Elle retombait dans son état de catalepsie, elle ne savait même plus que Silvère était là. Brusquement elle se redressa, elle regarda au pied de son lit, avec une horrible expression de terreur. « Pourquoi ne les as-tu pas renvoyés ? cria-t-elle en cachant sa tête blanchie dans le sein du jeune homme. Ils sont toujours là. Celui qui a le fusil me fait signe qu'il va tirer… » Peu après, elle s'endormit du sommeil lourd qui terminait les crises. Le lendemain, elle parut avoir tout oublié. Jamais elle ne reparla à Silvère de la matinée où elle l'avait trouvé avec une amoureuse, derrière le mur. |
Émile Zola 1870
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Jean-Sigismond Ehrenreich, comte de Redern, étrange et fantasque associé de Saint-Simon, a étudié très précisément les sources médicales qui relatent les cas de catalepsie associés d'un somnambulisme qui laissent parfois accroire à des accès de voyance. Un ouvrage du comte, publié un peu plus d'une dizaine d'années auparavant, était en bonne place dans la bibliothèque du docteur Pascal Rougon, qui voyait dans le comte de Redern un maître et un modèle, tant pour son érudition autodidacte que pour son imagination fertile sinon débridée. Il s'agit des « Considérations sur la nature de l'homme en soi-même, et dans ses rapports avec l'ordre social », publié chez Treuttel et Wurtz, ainsi que chez Levrault en 1835. Le comte, dans le tome second relate les observations de Sauvage de la Croix, médecin à Montpellier, qui, en 1742, traite les accès de catalepsie d'une fille de service. Pendant ses accès, alors qu'elle demeurait insensible à toute atteinte extérieure, comme le médecin avait pu précisément s'en assurer, elle chantait et faisait des éclats de rire, se mouvait dans la salle sans difficultés, avant de revenir à elle et de pleurer tout le jour, confuse d'elle-même. Redern, dans l'abondante littérature médicale qu'il a lue et annotée, a relevé ainsi plusieurs cas relatés par les médecins, cherchant à y trouver des analogies. Il en conclut ceci : « le noctambulisme a son origine dans l'état de sommeil ; et, à l'exception de la cataleptique de Sauvage, on remarque dans tous ces exemples le type commun des rêves, celui d'une série intérieure imaginaire, qui peut se rapporter à une action isolée ou à un événement... » Adélaïde avait ainsi de ces rêves éveillés des cataleptiques. Elle voyait avec clarté la scène de la mort de Macquart tué par le douanier, scène cruelle, qu'elle n'avait cependant pas pu voir mais que, pendant toutes ces longues années de solitude, elle avait sans cesse, lors de ses insomnies, imaginée au point que sa rêverie pût pénétrer ses rêves. On sait que dans les rêves, les personnes se confondent. Alors que le matin-même, la chronologie apparente des temps s'était effacée dans l'éblouissement de l'amour des deux jeunes gens, Tante Dide, dans sa crise, mêlait le passé et l'avenir dans un seul et même drame horrible, une seule douleur. |
Daniel Diégèse 2014
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18 septembre | |||||||||
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