Diégèse | |||||||||
samedi 20 septembre 2014 | 2014 | ||||||||
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La Fortune des Rougon2 | |||||||||
À partir de cette
soirée, ils se
virent là presque chaque nuit. Le puits ne leur servit plus qu'à
s'avertir des obstacles imprévus mis à leurs rendez-vous, des
changements d'heure, de toutes les petites nouvelles, grosses à leurs
yeux, et ne souffrant pas de retard ; il suffisait que celui qui avait
à faire une communication à l'autre, mît en mouvement la poulie, dont
le bruit strident s'entendait de fort loin. Mais bien que, certains
jours, ils s'appelassent deux ou trois fois pour se dire des riens
d'une énorme importance, ils ne goûtaient leurs vraies joies que le
soir, dans l'allée discrète. Miette était d'une
ponctualité rare. Elle
couchait heureusement au-dessus de la cuisine, dans une chambre où l'on
serrait, avant son arrivée,]es provisions d'hiver, et à laquelle
conduisait un petit escalier particulier. Elle pouvait ainsi sortir à toute heure sans être vue du père Rébufat ni de Justin. Elle comptait d'ailleurs, si ce dernier la voyait jamais rentrer, lui faire quelque histoire, en le regardant de cet air dur qui lui fermait la bouche. |
Émile Zola 1870
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La chambre de Miette était de ces chambres de petites paysannes, sans confort, mais dont on sait, au premier coup d'œil, qu'elles sont occupées par une jeune fille. Le lit était une mauvaise paillasse avec de gros draps de bure qui auraient pu écorcher une peau plus tendre que celle de Miette endurcie au soleil du midi. Miette y avait brodé quelques fleurs d'un fil coloré qu'elle avait trouvé un matin dans le faubourg, sans doute tombé de quelque diligence. Elle avait aussi trouvé dans ce même faubourg un éclat de miroir venu d'un buffet de salle à manger. Le miroir était assez grand pour être taillé et, avec d'infinies précautions afin de ne pas le casser ni ne se blesser, elle l'avait apporté à Silvère qui, avec ses pinces de charron, le lendemain, l'avait taillé. Elle avait battu des mains de joie quand il lui avait montré. Le jeune homme, habile de ses mains, lui avait donné un forme hexagonale du meilleur effet et l'avait bordé d'une gouttière confectionnée dans du zinc récupéré. Depuis, le miroir était accroché dans la chambre de Miette et quand elle s'y regardait, elle y voyait Silvère. |
Daniel Diégèse 2014
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Ah ! quelles
heureuses et tièdes soirées ! On était alors dans les
premiers jours de septembre, mois de clair soleil en Provence. Les
amoureux ne pouvaient guère se rejoindre que vers neuf heures. Miette
arrivait par son mur. Elle acquit bientôt une telle habileté à franchir
cet obstacle, qu'elle était presque toujours sur l'ancienne pierre
tombale avant que Silvère lui eût tendu les bras. Et elle riait de son
tour de force, elle restait là un instant, essoufflée, décoiffée,
donnant de petites tapes sur sa jupe pour la faire retomber. Son amoureux l'appelait en riant « méchant galopin ». Au fond, il aimait la crânerie de l'enfant. Il la regardait sauter son mur avec la complaisance d'un frère aîné qui assiste aux exercices d'un de ses jeunes frères. Il y avait tant de puérilité dans leur tendresse naissante ! |
Émile Zola 1870
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La tendresse de leur jeunesse et leur innocence d'enfants des campagnes orphelins de père et de mère les faisaient rechercher encore le plaisir particulier du temps où prévaut chez l'enfant une forme d'androgynie. Miette, bien que déjà formée, aimait à agir comme agissent les garçons et ne supportait pas qu'on la confinât dans un rôle de fille. En effet, Rébufat et Justin avaient à son égard cette attitude commune chez les hommes qui veut que la femme soit assez forte pour toutes les tâches les plus rudes et, soudain réduite à un état de faiblesse lorsqu'il s'agissait, par exemple, d'exprimer une opinion. Miette connaissait sa force physique et, par prudence, Justin ne s'était d'ailleurs jamais risqué à tenter de la battre, car, l'issue de la bagarre eût été incertaine. Quant à Silvère, bien que fort et vigoureux, il était sensible comme un tout jeune animal et essuyait une larme à la vue d'un lièvre pris au collet. |
Daniel Diégèse 2014
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À plusieurs reprises,
ils firent le projet d'aller un jour
dénicher des oiseaux, au bord de la Viorne. « Tu verras comme je monte aux arbres ! disait Miette orgueilleusement. Quand j'étais à Chavanoz, j'allais jusqu'en haut des noyers du père André. Est-ce que tu as jamais déniché des pies, toi ? C'est ça qui est difficile ! » Et une discussion s'engageait sur la façon de grimper le long des peupliers. Miette donnait son avis nettement, comme un garçon. Mais Silvère, la prenant par les genoux, l'avait descendue à terre, et ils marchaient côte à côte, les bras à la taille. Tout en se querellant sur la manière dont on doit poser les pieds et les mains à la naissance des branches, ils se serraient davantage, ils sentaient sous leurs étreintes des chaleurs inconnues les brûler d'une étrange joie. Jamais le puits ne leur avait procuré de pareils plaisirs, Ils restaient enfants, ils avaient des jeux et des causeries de gamins, et goûtaient des jouissances d'amoureux sans savoir seulement parler d'amour, rien qu'à se tenir par le bout des doigts. Ils cherchaient la tiédeur de leurs mains, pris d'un besoin instinctif, ignorant où allaient leurs sens et leur cœur. À cette heure d'heureuse naïveté, ils se cachaient même la singulière émotion qu'ils se donnaient mutuellement, au moindre contact. Souriants, étonnés parfois des douceurs qui coulaient en eux, dès qu'ils se touchaient, ils s'abandonnaient secrètement aux mollesses de leurs sensations nouvelles, tout en continuant à causer, comme deux écoliers, des nids de pie qui sont si difficiles à atteindre. |
Émile Zola 1870
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Les
conversations des tout jeunes amoureux prennent ainsi parfois des tours
inattendus. On est parfois surpris, à la terrasse d'un café, alors que,
sans vouloir même être indiscret, on entend un couple échanger avec cet
air pénétré les fadaises que l'amour fait prononcer. Les voilà qu'ils
vont passer une bonne heure sur un sujet auquel toute personne
raisonnable ne consacrerait pas plus d'une minute. Il s'agira par
exemple de savoir s'il est préférable de remonter le faubourg par le
trottoir de gauche, en partie au soleil, ou par le trottoir de droite,
en partie à l'ombre, et donc tout autant, en partie, au soleil. Et
d'ailleurs peu importe, car, la conversation n'est que le prétexte à
engager une querelle légère, une douce controverse, et à faire en sorte
que celle-ci puisse durer le plus longtemps possible. C'est que les
amoureux, dans cet échange de piques et de ripostes trouvent le moyen,
sans offenser en aucune manière la pudeur de leurs voisins de table, de
se frotter l'un à l'autre. La conversation a le même rôle que celui que
jouent les agaceries que se prodiguent les couples dans la chambre à
coucher, se mordillant, se griffant parfois et, pour certains, même,
allant jusqu'à donner une bonne fessée. C'est que le plaisir et son
excitation ont des chemins perdus que les plus audacieux parviennent à
retrouver. Pour Miette et pour Silvère, innocents et surtout vierges, débattre de la meilleure façon de grimper aux arbres, jambes nues, pour aller au sommet dénicher les pies, était une façon, certes encore inconsciente, de provoquer et d'éteindre l'émotion qu'ils éprouvaient en présence l'un de l'autre. Parfois, seule la qualité de leurs rires en cascade les trahissait et dévoilait leur désir nouveau et encore inconnu. |
Daniel Diégèse 2014
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