Diégèse




lundi 22 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Jamais ils ne furent troublés dans leur solitude. À cette heure avancée, les gamins ne jouaient plus à cache-cache derrière les tas de planches. Parfois, lorsque les jeunes gens entendaient quelque bruit, un chant d'ouvriers passant sur la route, des voix venant des trottoirs voisins, ils se hasardaient à jeter un regard sur l'aire Saint-Mittre. Le champ des poutres s'étendait, vide, peuplé de rares ombres. Par les soirées tièdes, ils y voyaient des couples vagues d'amoureux, des vieillards assis sur des madriers, au bord du grand chemin. Quand les soirées devenaient plus fraîches, ils n'apercevaient plus, dans l'aire mélancolique et déserte, qu'un feu de bohémiens, devant lequel passaient de grandes ombres noires. L'air calme de la nuit leur apportait des paroles et des sons perdus, le bonsoir d'un bourgeois fermant sa porte, le claquement d'un volet, l'heure grave des horloges, tous ces bruits mourants d'une ville de province qui se couche.
Et lorsque
Plassans était endormie, ils entendaient encore les querelles des bohémiens, les pétillements de leur feu, au milieu desquels s'élevaient brusquement des voix gutturales de jeunes filles chantant en une langue inconnue, pleine d'accents rudes.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les braves gens, ou supposés tels, ont bien tort de craindre les bohémiens, car, les bohémiens, veillent sur les nuits des villes et leurs roulottes aux peintures vives forment dans toute l'Europe une cohorte mystérieuse qui protège des mauvais sorts. Si les habitants de Plassans et d'ailleurs avaient pu comprendre les chants des jeunes filles du campement de l'aire Saint-Mittre, ils y auraient reconnu leur histoire, leurs espoirs et leurs craintes. Ils y auraient aussi entendu leurs amours, leurs rencontres et leurs séparation, les brulures de la passion. Les bohémiens ont aussi de longues lamentations qui leur servent de deuil, car, il leur est interdit de parler des morts. Un soir, Miette et Silvère virent une grande lueur sur l'aire Saint-Mittre et ils entendirent des crépitements. Ils crurent à un incendie, et, par réflexe, ignorants du danger, ils se précipitèrent vers le campement. Tous les bohémiens étaient rassemblés autour d'une roulotte en feu, mais, aucun d'entre-eux ne faisait aucun geste pour tenter d'éteindre les flammes. Ils restaient, immobiles et silencieux à regarder le feu, emplis, et même les enfants, d'une terrible gravité. Le lendemain, les autres ouvriers chez le charron Vian dirent à Silvère que les bohémiens avaient cette nuit-là brûlé la roulotte de leurs défunts et qu'ils en avaient la coutume.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Mais les amoureux ne regardaient pas longtemps au dehors, dans l'aire Saint-Mittre ; ils se hâtaient de rentrer chez eux, ils se remettaient à marcher le long de leur cher sentier clos et discret. Ils se souciaient bien des autres, de la ville entière ! Les quelques planches qui les séparaient des méchantes gens leur semblaient, à la longue, un rempart infranchissable. Ils étaient si seuls, si libres dans ce coin situé en plein faubourg, à cinquante pas de la porte de Rome, qu'ils s'imaginaient parfois être bien loin, au fond de quelque creux de la Viorne, en rase campagne. De tous les bruits qui venaient à eux, ils n'en écoutaient qu'un avec une émotion inquiète, celui des horloges battant lentement dans la nuit. Quand l'heure sonnait, parfois ils feignaient de ne pas entendre, parfois ils s'arrêtaient net, comme pour protester. Cependant, ils avaient beau s'accorder dix minutes de grâce, il leur fallait se dire adieu. Ils auraient joué, ils auraient bavardé jusqu'au matin, les bras enlacés, afin d'éprouver ce singulier étouffement, dont ils goûtaient en secret les délices, avec de continuelles surprises. Miette se décidait enfin à remonter sur son mur. Mais ce n'était point fini, les adieux traînaient encore un bon quart d'heure.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Il fallait toute leur jeunesse et leur singulière vigueur pour supporter un pareil train. Tout autre n'aurait pu le matin se réveiller et se lever, à force de ne pas s'endormir avant le mitant passé de la nuit. Mais, le matin, l'aurore trouvait Silvère tirant l'eau du puits et Miette se mirant tout en parlant avec son amoureux. Il y avait aussi, très certainement, cette curieuse alchimie qui fait que les amoureux ne sont jamais fatigués dès lors que leur veille est consacrée à leur amour. Et l'on a vu ainsi des jeunes gens, et parfois de moins jeunes, passer sans encombre de nombreuses nuits blanches, sans outre mesure être fatigués le lendemain matin. S'ils avaient veillé un malade, ou s'ils n'avaient pu s'endormir pour toute autre raison, ils se seraient réveillés malades de fatigues, pouvant à peine mettre un pied devant l'autre. C'est que l'amour doit gorger le sang et les humeurs de substances excitantes qui font l'effet de drogues puissantes sur l'organisme. Nul doute que si un médecin habile parvenait à les isoler et à les injecter à la demande, sa fortune serait faite au-delà de toutes ses espérances. Puis, quand l'amour se lasse, avec l'âge ou avec l'habitude, le sommeil reprend ses droits. Pour l'amour aussi, il faut que jeunesse se passe.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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