Diégèse




mardi 23 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Quand l'enfant avait enjambé le mur, elle restait là, les coudes sur le chaperon, retenue par les branches du mûrier qui lui servait d'échelle. Silvère, debout sur la pierre tombale, pouvait lui reprendre les mains, se remettre à causer à demi-voix. Ils répétaient plus de dix fois : « À demain ! » et trouvaient toujours de nouvelles paroles. Silvère grondait.
« Voyons, descends, il est plus de minuit. » Mais, avec des entêtements de fille
, Miette voulait qu'il descendît le premier ; elle désirait le voir s'en aller. Et, comme le jeune homme tenait bon, elle finissait par dire brusquement, pour le punir, sans doute : « Je vais sauter, tu vas voir. » Et elle sautait du mûrier, au grand effroi de Silvère. Il entendait le bruit sourd de sa chute ; puis elle s'enfuyait avec un éclat de rire, sans vouloir répondre à son dernier adieu. Il restait quelques instants à regarder son ombre vague s'enfoncer dans le noir, et lentement il descendait à son tour, il regagnait l'impasse Saint-Mittre.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Quand bien même les deux enfants savaient pertinemment qu'ils se reverraient le lendemain, et aussi le jour d'après, ils avaient chaque soir, au moment de leur séparation, les tristesses de ceux qui, sur le quai d'une gare, ou pire encore, d'un port, se font longuement signe au moment du départ et agitent leur mouchoir. Miette était la voyageuse, tant le Jas-Meiffren figurait un monde inconnu peuplé d'être sauvages et qui pouvaient devenir dangereux. Silvère était celui qui restait, regagnant un monde familier, devenu étroit car marqué par l'absence de l'être cher. Retournant chez sa grand-mère, il avait les épaules courbés et la tête un peu basse de ceux qui rentrent chez eux après avoir accompagné un voyageur. Certains soirs où la tristesse marquait prématurément son front, on aurait pu croire qu'il revenait du cimetière tellement il avait l'air accablé. C'est que l'amour naissant, plus que tout autre amour, offre à ceux qui l'éprouvent, de ces moments de désespoir infini qui étreignent le cœur et l'âme et qui ne s'évanouissent que dans le sommeil.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Pendant deux années, ils vinrent là chaque jour. Ils y jouirent, lors de leurs premiers rendez-vous, de quelques belles nuits encore toutes tièdes. Les amoureux purent se croire en mai, au mois des frissons de la sève, lorsqu'une bonne odeur de terre et de feuilles nouvelles traîne dans l'air chaud. Ce renouveau, ce printemps tardif fut pour eux comme une grâce du ciel, qui leur permit de courir librement dans l'allée et d'y resserrer leur amitié d'un lien étroit.
Puis arrivèrent les pluies, les
neiges, les gelées. Ces mauvaises humeurs de l'hiver ne les retinrent pas. Miette ne vint plus sans sa grande pelisse brune, et ils se moquèrent tous deux des vilains temps. Quand la nuit était sèche et claire, que de petits souffles soulevaient sous leurs pas une poussière blanche de gelée, et les frappaient au visage comme à coups de baguettes minces, ils se gardaient bien de s'asseoir ; ils allaient et venaient plus vite, enveloppés dans la pelisse, les joues bleuies, les yeux pleurant de froid ; et ils riaient, tout secoués de gaieté par leur marche rapide dans l'air glacé. Un soir de neige, ils s'amusèrent à faire une énorme boule qu'ils roulèrent dans un coin ; elle resta là un grand mois, ce qui les fit s'étonner à chaque nouveau rendez-vous. La pluie ne les effrayait pas davantage. Ils se virent par de terribles averses qui les mouillaient jusqu'aux os. Silvère accourait en se disant que Miette ne ferait pas la folie de venir ; et quand Miette arrivait à son tour, il ne savait plus comment la gronder. Au fond, il l'attendait. Il finit par chercher un abri contre le mauvais temps, sentant bien qu'ils sortiraient quand même, malgré leur promesse mutuelle de ne pas mettre les pieds dehors lorsqu'il pleuvait. Pour trouver un toit, il n'eut qu'à creuser un des tas de planches ; il en retira quelques morceaux de bois, qu'il rendit mobiles, de façon à pouvoir les déplacer et les replacer aisément. Dès lors, les amoureux eurent à leur disposition une sorte de guérite basse et étroite, un trou carré, où ils ne pouvaient tenir que serrés l'un contre l'autre, assis sur le bout d'un madrier, qu'ils laissaient au fond de la logette.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Le poison le plus puissant que secrète ces idylles de très jeunes gens, qui sont les plus fortes, car elles sont les plus pures, est très certainement ce poison d'illusion que le temps pourrait bien ne jamais passer, et que le rythme des jours et des nuits que les amoureux ont installé va durer pour l'éternité. Plus tard, chaque relation amoureuse porte en son sein le point non négociable de sa corruption et chacun des amoureux scrute dans les yeux de l'autre, sinon dans chacun de ses gestes, la fin de leur histoire et cherche à en distinguer les signes annonciateurs comme le médecin tente de déceler dans le visage de son patient les signés précurseurs de l'affection qui va l'emporter. Il n'y avait rien de cela chez Miette, ni chez Silvère. Ces saisons qui s'alignaient à leur porte leur faisaient une gaie d'honneur et ne semblaient se succéder, non pas pour marquer la fuite du temps, mais pour agrémenter d'épreuves nouvelles comme dans les mythes anciens les rencontres amusées des deux jeunes gens. Ils avaient ainsi, avec le même enthousiasme, bravé la neige, le froid et la pluie. Ils se souvenaient avec bonheur des événements climatiques les plus violents. Un soir d'orage, ils avaient ainsi vu la foudre s'abattre sur l'un des platanes de la route de Nice. Ils s'étaient, dans leur abri, serré encore davantage, ne donnant au tonnerre aucune autre signification. Ne faisant pas le mal et communiant à la pureté du monde, ils ne pouvaient imaginer que cette foudre était le signe d'une punition divine comme le croient ou comme font semblant de croire les paysans qui, dans leurs champs, se signent à chaque coup de tonnerre. D'ailleurs, les deux enfants, qui étaient élevés loin de toute religion, avait de Dieu une idée bien vague et surtout très éloigné de cette image divine que l'on présente aux enfants et qui tient davantage du croquemitaine que du Bon Pasteur. Ils savaient seulement qu'il ne fallait pas jurer et ils ne juraient pas, ayant peu l'occasion d'avoir une colère. Ils étaient des enfants d'avant la chute, d'avant le mal, et dont la seule tentation était celle de demeurer chaque soir encore un peu plus longtemps à se voir, à se parler et à se tenir les mains.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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