Diégèse




samedi 27 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Silvère, qui comprenait vaguement le danger de ces extases, se levait parfois d'un bond en proposant de passer dans une des petites îles que les eaux basses découvraient au milieu de la rivière. Tous deux, les pieds nus, s'aventuraient ; Miette se moquait des cailloux, elle ne voulait pas que Silvère la soutînt, et il lui arriva une fois de s'asseoir au beau milieu du courant ; mais il n'y avait pas vingt centimètres d'eau, elle en fut quitte pour faire sécher sa première jupe. Puis, quand ils étaient dans l'île, ils se couchaient à plat ventre sur une langue de sable, les yeux au niveau de la surface de l'eau, dont ils regardaient au loin, dans la nuit claire, frémir les écailles d'argent. Alors Miette déclarait qu'elle était en bateau, l'île marchait pour sûr ; elle la sentait bien qui l'emportait ; ce vertige que leur donnait le grand ruissellement dont leurs yeux s'emplissaient les amusait un instant, les tenait là, sur le bord, chantant à demi-voix, ainsi que les bateliers dont les rames battent l'eau. D'autres fois, quand l'île avait une berge basse, ils s'y asseyaient comme sur un banc de verdure, laissant pendre leurs pieds nus dans le courant. Et, pendant des heures, ils causaient, faisant jaillir l'eau à coups de talon, balançant les jambes, prenant plaisir à déchaîner des tempêtes dans le bassin paisible dont la fraîcheur calmait leur fièvre.
Ces bains de pieds firent naître dans l'esprit de
Miette un caprice qui faillit gâter leurs belles amours innocentes. Elle voulut à toute force prendre de grands bains. Un peu en dessus du pont de la Viorne, il y avait un trou, très convenable, disait-elle, à peine profond de trois à quatre pieds, et très sûr ; il faisait si chaud, on serait si bien dans l'eau jusqu'aux épaules ; puis elle mourait depuis si longtemps du désir de savoir nager, Silvère lui apprendrait. Silvère élevait des objections : la nuit, ce n'était pas prudent, on pouvait les voir, ça leur ferait peut-être du mal ; mais il ne disait pas la vraie raison, il était instinctivement très alarmé à la pensée de ce nouveau jeu, il se demandait comment ils se déshabilleraient, et de quelle façon il s'y prendrait pour tenir Miette sur l'eau, dans ses bras nus. Celle-ci ne semblait pas se douter de ces difficultés.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Miette était pubère, mais son jeune âge la tenait encore éloignée des fièvres de l'adolescence, et, contrairement à Silvère, elle n'avait pas encore lu Rousseau. Ce dernier les aurait très certainement reconnus comme semblables à ceux dont il écrit, dans ce même livre : « il faut avoir vécu chez des peuples grossiers et simples pour connaître jusqu'à quel âge une heureuse ignorance y peut prolonger l'innocence des enfants. C'est un spectacle à la fois touchant et risible d'y voir les deux sexes, livrés à la sécurité de leurs cœurs, prolonger dans la fleur de l'âge et de la beauté les jeux naïfs de l'enfance, et montrer par leur familiarité même la pureté de leurs plaisirs. » Cependant, Silvère, lui, avait lu Jean-Jacques Rousseau, avec effroi et curiosité. Il se demandait ce que l'un de ses auteurs préférés voulait signifier quand il affirmait avec force que les enfants n'ont point de pudeur, lui qui n'aurait jamais paru devant sa grand-mère sans être entièrement habillé. Mais il avait encore lu : « Le sang fermente et s'agite ; une surabondance de vie cherche à s'étendre au dehors. L'œil s'anime et parcourt les autres êtres, on commence à prendre intérêt à ceux qui nous environnent, on commence à sentir qu'on n'est pas fait pour vivre seul ; c'est ainsi que le cœur s'ouvre aux affections humaines, et devient capable d'attachement. » Silvère constatait évidemment son attachement pour la jeune Miette. Il s'attendait en conséquence à ce qu'un jour, une nuit, son sang fermentât et s'agitât sans qu'il y pût grand chose et cette perspective ne lassait de le terrifier. Il se disait que l'épisode du bain pourrait bien être le déclencheur irréparable de la crise qui le prendrait quand il sortirait de l'enfance. Il tentait de se représenter la scène sans bien y parvenir et, le trouble que cela provoquait en lui le soir dans son lit, de retour de promenade, l'engageait à saisir un volume d'arithmétique poussiéreux et pour lui très abscons, et à en lire les pages ternes, jusqu'à ce que ses yeux se fermassent irrésistiblement. C'est à se demander d'ailleurs si ne serait pas préférable d'affranchir les jeunes gens de ce qu'ils ont un corps et que ce corps grandit et se transforme et ira chercher d'autres corps ? Rousseau ne dit d'ailleurs pas autre chose.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
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