Diégèse




lundi 29 septembre 2014



2014
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La Fortune des Rougon2




Quand tous deux nageaient sans bruit, Miette croyait voir, aux deux bords, les feuillages s'épaissir, se pencher vers eux, draper leur retraite de rideaux énormes. Et les jours de lune, des lueurs glissaient entre les troncs, des apparitions douces se promenaient le long des rives en robe blanche. Miette n'avait pas peur. Elle éprouvait une émotion indéfinissable à suivre les jeux de l'ombre. Tandis qu'elle avançait, d'un mouvement ralenti, l'eau calme, dont la lune faisait un clair miroir, se froissait à son approche comme une étoffe lamée d'argent ; les ronds s'élargissaient, se perdaient dans les ténèbres des bords, sous les branches pendantes des saules, où l'on entendait des clapotements mystérieux ; et, à chaque brassée, elle trouvait ainsi des trous pleins de voix, des enfoncements noirs devant lesquels elle passait avec plus de hâte, des bouquets, des rangées d'arbres, dont les masses sombres changeaient de forme, s'allongeaient, avaient l'air de la suivre du haut de la berge. Quand elle se mettait sur le dos, les profondeurs du ciel l'attendrissaient encore. De la campagne, des horizons qu'elle ne voyait plus, elle entendait alors monter une voix grave, prolongée, faite de tous les soupirs de la nuit.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Car, la nuit n'est jamais silencieuse. Les habitants des grandes villes croient seuls au silence nocturne, quand, celui qui parcourt la campagne  sait que le silence n'existe pas. Il y a bien sûr tous les bruits que font les animaux, et, à eux-seuls, ils font tout un tintamarre. Ce seront quelques cris, au loin, de grands habitants de la forêt qui brament  leurs parades amoureuses, ou encore des oiseaux de nuit qui poussent avec parcimonie leur cri, signal indéchiffrable. La chouette, antique attribut d'Athéna, quitte parfois les plantations d'oliviers où elle réside, pour venir approcher les cours d'eau et trouver les insectes qui forment sa pitance, et même quelques campagnols qui se croyaient à l'abri de tous leurs prédateurs. Les anciens Grecs pensaient que la chouette était un animal sage. Les paysans de la Méditerranée en doutent, qui en trouvent piégées dans les haies, voire noyées dans les abreuvoirs des animaux. Mais, les animaux ne sont pas les seuls à peupler la nuit de cris et de bruits. La nature elle-même s'ébroue, se plaint, geint et grince à l'unisson. Il est frappant d'entendre le bruit nocturne de la campagne les nuits sans vent, quand tout ne devrait être que silence et la vie s'ébroue, assourdissante.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Elle n'était point de nature rêveuse, elle jouissait par tout son corps, par tous ses sens, du ciel, de la rivière, des ombres, des clartés. La rivière surtout, cette eau, ce terrain mouvant, la portait avec des caresses infinies. Elle éprouvait, quand elle remontait le courant, une grande jouissance à sentir le flot filer plus rapide contre sa poitrine et contre ses jambes ; c'était un long chatouillement, très doux, qu'elle pouvait supporter sans rire nerveux. Elle s'enfonçait davantage, se mettait de l'eau jusqu'aux lèvres, pour que le courant passât sur ses épaules, l'enveloppât d'un trait, du menton aux pieds, de son baiser fuyant. Elle avait des langueurs qui la laissaient immobile à la surface, tandis que de petits flots glissaient mollement entre son costume et sa peau, gonflant l'étoffe ; puis elle roulait dans les nappes mortes, ainsi qu'une chatte sur un tapis ; et elle allait de l'eau lumineuse, où se baignait la lune, dans l'eau noire, assombrie par les feuillages, avec des frissons, comme si elle eût quitté une plaine ensoleillée et senti le froid des branches lui tomber sur la nuque.
Maintenant, elle s'écartait pour se déshabiller, elle se cachait. Dans l'eau, elle demeurait silencieuse ; elle ne voulait plus que
Silvère la touchât ; elle se coulait doucement à son côté, nageant avec le petit bruit d'un oiseau dont le vol traverse un taillis ; ou parfois elle tournait autour de lui, prise de craintes vagues qu'elle ne s'expliquait pas. Lui-même s'éloignait, quand il frôlait un de ses membres. La rivière n'avait plus pour eux qu'une ivresse amollie, un engourdissement voluptueux, qui les troublait étrangement.

La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
Les deux jeunes gens ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Ils avaient été bien inspirés de venir en ces nuits chaudes se baigner dans les eaux rafraîchissantes de la Viorne et la rivière avait accepté, bonne mère, d'apaiser leurs ardeurs naissantes et de calmer leurs jeunes sens enflammés, tout en leur laissant entrevoir d'autres voluptés qui viendraient le temps venu, avec l'onction de la maturité. Les deux enfants n'avaient pas peur, la nuit, sur les bords de la rivière. Pourtant, ils n'étaient pas entièrement à l'abri du danger. Ce mouvement qui les avait poussés à rejoindre l'onde, d'autres qu'eux pouvaient l'avoir, et il est toujours étonnant de constater que les abords des rivières, fussent-ils en pleine campagne, ne sont jamais totalement déserts. Les berges de la Viorne, jusque très loin de Plassans et de ses faubourgs, étaient célèbres pour abriter les rendez-vous de tous les amoureux du pays. Et les rendez-vous d'amoureux attirent aussi nombre de personnages sombres qui tentent d'épier leurs ébats, comme ils attirent des maris jaloux et des pères furibards à la recherche d'une épouse ou d'une fille disparues et fautives. Mais, Silvère et Miette, dans cette assemblée furtive qui jouait à ne pas se croiser, à ne pas se voir pour ne pas avoir à se reconnaître, étaient cependant les seuls à oser se baigner, sans crainte d'être happés par les monstres des profondeurs. Il leur fallait toute cette innocence pour ne pas craindre les flots noirs ni le passage d'animaux nageurs qui  traversaient parfois la rivière juste sous leur nez. Ils sentaient confusément que seule la baignade pouvait les sauver d'une chute qu'ils craignaient tout en l'espérant.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014
Quand ils sortaient du bain, surtout, ils éprouvaient des somnolences, des éblouissements. Ils étaient comme épuisés. Miette mettait une grande heure à s'habiller. Elle ne passait d'abord que sa chemise et une jupe ; puis elle restait là, étendue sur l'herbe, se plaignant de fatigue, appelant Silvère, qui se tenait à quelques pas, la tête vide, les membres pleins d'une étrange et excitante lassitude. Et, au retour, il y avait plus d'ardeur dans leur étreinte, ils sentaient mieux, à travers leurs vêtements, leur corps assoupli par le bain, ils s'arrêtaient en poussant de gros soupirs. Le chignon énorme de Miette, encore tout humide, sa nuque, ses épaules avaient une senteur fraîche, une odeur pure, qui achevaient de griser le jeune homme. L'enfant, heureusement, déclara un soir qu'elle ne prendrait plus de bains, que l'eau froide lui faisait monter le sang à la tête. Sans doute elle donna cette raison en toute vérité, en toute innocence.
La Fortune des Rougon
Émile Zola
1870
C'est ainsi que leurs bains s'arrêtèrent. Ils n'en parlèrent jamais, ressentant trop de gêne. C'était donc qu'ils avaient dépassé en ces nuits estivales le point d'innocence qui était le leur auparavant. Tels sont les enfants qui se promènent nus un jour et pleurent de devoir le faire le lendemain. Il ne s'est rien passé, cependant, que le passage du temps, que la main de la nuit sur leurs yeux en sommeil, qui auront fait d'eux, en un instant, les fils et les filles de la chute originelle, celle qui poussa Adam et Ève à chercher fébriles une vêture et à trouver, malhabiles, une feuille de vigne pour tout vêtement. C'est chose mystérieuse que la pudeur, qui va pousser certains peuples à couvrir entièrement les femmes, et d'autres, tout aussi prudes et chastes, à les couvrir de colliers de fleurs ne dissimulant en rien leur corps dénudé. Il est couramment admis que l'on doit s'habiller pour éviter la concupiscence généralisée et le désordre de la société. Force est de constater que c'est bien peu efficace.
Zola augmenté
Daniel Diégèse
2014










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