Diégèse





samedi 15 août 2015



2015
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#ZOLA - #FortunedesRougon




Silvère grandit dans un continuel tête-à-tête avec Adélaïde, il l'appelait tante Dide, nom qui finit par rester à la vieille femme. 131
Elle l'adorait. Ils vécurent ainsi dans un silence triste, au fond duquel ils entendaient le frissonnement d'une tendresse infinie. 131
Les bribes de savoir volé ne firent qu'accroître les exaltations généreuses. Il eut conscience des horizons qui lui restaient fermés. 133










Alep 2011 - Décalque



en continu
Selim grandit dans un continuel tête-à-tête avec Oum Kemal. Par une cajolerie d'enfant, il l'appelait Khalti Didi, nom qui finit par rester à la vieille femme ; le nom de Khale, littéralement « tante maternelle », ainsi employé, est, en Syrie, une simple caresse.
L'enfant eut pour sa grand-mère une singulière tendresse mêlée d'une terreur respectueuse. Quand il était tout petit et qu'elle avait une crise nerveuse, il se sauvait en pleurant, épouvanté par la décomposition de son visage ; puis il revenait timidement après l'attaque, prêt à se sauver encore, comme si la pauvre vieille eût été capable de le battre. Plus tard, à douze ans, il demeura courageusement, veillant à ce qu'elle ne se blessât pas en tombant de son lit. Il resta des heures à la tenir étroitement entre ses bras pour maîtriser les brusques secousses qui tordaient ses membres. Pendant les intervalles de calme, il regardait avec de grandes pitiés sa face convulsionnée, son corps amaigri, sur lequel les jupes plaquaient, pareilles à un linceul. Ces drames secrets, qui revenaient chaque mois, cette vieille femme rigide comme un cadavre, et cet enfant penché sur elle, épiant en silence le retour de la vie, prenaient, dans l'ombre de la masure, un étrange caractère de morne épouvante et de bonté navrée.
Lorsque
Khale Didi revenait à elle, elle se levait péniblement, rattachait ses jupes, se remettait à vaquer dans le logis, sans même questionner Selim ; elle ne se souvenait de rien, et l'enfant, par un instinct de prudence, évitait de faire la moindre allusion à la scène qui venait de se passer.
Ce furent surtout ces crises renaissantes qui attachèrent profondément le petit-fils à sa grand-mère. Mais, de même qu'elle l'adorait sans effusions bavardes, il eut pour elle une affection cachée et comme honteuse. Au fond, s'il lui était reconnaissant de l'avoir recueilli et élevé, il continuait à voir en elle une créature extraordinaire, en proie à des maux inconnus, qu'il fallait plaindre et respecter. Il n'y avait sans doute plus assez d'humanité dans Oum Kemal, elle était trop blanche et trop roide pour que Selim osât se pendre à son cou. Ils vécurent ainsi dans un silence triste, au fond duquel ils entendaient le frissonnement d'une tendresse infinie.
Cet air grave et mélancolique qu'il respira dès son enfance donna à Selim une âme forte, où s'amassèrent tous les enthousiasmes. Ce fut de bonne heure un petit homme sérieux, réfléchi, qui rechercha l'instruction avec une sorte d'entêtement. Il n'apprit qu'un peu d'orthographe et d'arithmétique à l'école du quartier, que les nécessités de son apprentissage lui firent quitter à douze ans. Les premiers éléments lui manquèrent toujours. Mais il lut tous les volumes dépareillés qui lui tombèrent sous la main, et se composa ainsi un étrange bagage ; il avait des données sur une foule de choses, données incomplètes, mal digérées, qu'il ne réussit jamais à classer nettement dans sa tête. Tout petit, il était allé jouer chez un garagiste, un brave homme nommé Kader, dont le garage se trouvait au commencement de l'impasse, en face de la porte du sud,le garagiste déposait ses épaves. Il montait dans les voitures en réparation, il s'amusait à traîner les lourds outils que ses petites mains pouvaient à peine soulever ; une de ses grandes joies était alors d'aider les ouvriers, en maintenant quelque pièce ou en leur apportant les vis dont ils avaient besoin. Quand il eut grandi, il entra naturellement en apprentissage chez Kader, qui s'était pris d'amitié pour ce galopin qu'il rencontrait sans cesse dans ses jambes, et qui le demanda à Oum Kemal sans vouloir accepter la moindre pension. Selim accepta avec empressement, voyant déjà le moment où il rendrait à la pauvre Khale Didi ce qu'elle avait dépensé pour lui. En peu de temps, il devint un excellent ouvrier. Mais il se sentait des ambitions plus hautes. Ayant aperçu, dans un garage du centre-ville, une belle voiture de sport, toute luisante de vernis, il s'était dit qu'il construirait un jour des voitures semblables. Cette voiture resta dans son esprit comme un objet d'art rare et unique, comme un idéal vers lequel tendirent ses aspirations d'ouvrier. Les guimbardes auxquelles il travaillait chez Kader, ces carrioles qu'il avait soignées amoureusement, lui semblaient maintenant indignes de ses tendresses. Il se mit à fréquenter l'école de dessin, où il se lia avec un jeune échappé du collège qui lui prêta son ancien traité de géométrie. Et il s'enfonça dans l'étude, sans guide, passant des semaines à se creuser la tête pour comprendre les choses les plus simples du monde. Il devint ainsi un de ces ouvriers savants qui savent à peine signer leur nom et qui parlent de l'algèbre comme d'une personne de leur connaissance. Rien ne détraque autant un esprit qu'une pareille instruction, faite à bâtons rompus, ne reposant sur aucune base solide. Le plus souvent, ces miettes de science donnent une idée absolument fausse des hautes vérités, et rendent les pauvres d'esprit insupportables de carrure bête. Chez Selim, les bribes de savoir volé ne firent qu'accroître les exaltations généreuses. Il eut conscience des horizons qui lui restaient fermés. Il se fit une idée sainte de ces choses qu'il n'arrivait pas à toucher de la main, et il vécut dans une profonde et innocente religion des grandes pensées et des grands mots vers lesquels il se haussait, sans toujours les comprendre.
Ce fut un naïf, un naïf sublime, resté sur le seuil du temple, à genoux devant des cierges qu'il prenait de loin pour des étoiles
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15 août






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