Diégèse
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mardi 29
décembre
2015 |
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2015 |
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#ZOLA - #FortunedesRougon |
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Silvère
s'attardait, il jouissait longuement de ses adieux à tout ce
qu'il
aimait, les herbes, les pièces de bois, les pierres du vieux mur. |
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Alep 2011 - Décalque |
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en continu |
«
À
ton aise, ricana le
borgne ; va, choisis ta place. » Selim fit
encore quelques pas. Il approchait du fond de l'allée, il n'apercevait
plus qu'une bande de ciel où se mourait le jour couleur de rouille. Là,
pendant deux ans, avait tenu sa vie. La lente approche de
la
mort, dans
ce sentier où depuis si longtemps il promenait son cœur, était d'une
douceur ineffable. Il s'attardait, il jouissait longuement de ses
adieux à tout ce qu'il aimait, les herbes, les pièces de bois, les
pierres du vieux mur, ces choses que Maya avait faites vivantes.
Et
sa pensée s'égarait de nouveau. Ils attendaient d'avoir l'âge pour se
marier. Khale Didi serait restée avec
eux. Ah ! s'ils avaient fui loin,
bien loin, au fond de quelque village inconnu, où les vauriens de
Hamdaniye ne
seraient plus venus jeter au visage de la petite le
crime de son père ! Quelle paix heureuse ! Il aurait ouvert
un atelier
de mécanique,
sur le bord d'une grande route. Certes, il faisait bon
marché de ses ambitions personnelles ; il n'enviait plus la
carrosserie
des automobiles de luxe,
les bolides aux
larges panneaux vernis, luisants comme des miroirs.
Dans la stupeur de son désespoir, il ne put se rappeler pourquoi son
rêve de bonheur ne se réaliserait jamais. Que ne s'en allait-il, avec
Maya et Khale
Didi ? La
mémoire
tendue, il écoutait un bruit aigre de
fusillade, il voyait un drapeau tomber devant lui, la hampe cassée,
l'étoffe pendante, comme l'aile d'un oiseau abattu d'un coup de feu.
C'était la démocratie qui dormait avec
Maya, dans un pan du
drapeau.
Ah ! misère, elles étaient mortes toutes les deux ! elles
avaient un trou saignant à la poitrine, et voilà ce qui lui barrait la
vie maintenant, les cadavres de ses deux tendresses. Il n'avait plus
rien, il pouvait mourir. Depuis Ariha, c'était là ce qui lui
avait donné cette douceur d'enfant, vague et stupide. On l'aurait battu
sans qu'il le sentît. Il n'était plus dans sa chair, il était resté
agenouillé auprès de ses mortes bien-aimées, sous les arbres, dans la
fumée âcre de la poudre.
– Mais le borgne s'impatientait ; il poussa Maher, qui se
faisait
traîner, il gronda :
« Allez donc, je ne veux pas coucher ici. » Selim trébucha. Il
regarda à ses pieds. Un fragment de crâne blanchissait dans l'herbe. Il
crut entendre l'allée étroite s'emplir de voix. Les morts l'appelaient,
les vieux morts, dont les haleines chaudes, pendant les soirées de
juillet, les troublaient si étrangement, lui et son amoureuse.
Il reconnaissait bien leurs murmures discrets. Ils étaient joyeux, ils
lui disaient de venir, ils promettaient de lui rendre Maya dans la
terre, dans une retraite encore plus cachée que ce bout de sentier. Le
cimetière, qui avait soufflé au cœur des enfants, par ses odeurs
grasses, par sa végétation noire, les âpres désirs, étalant avec
complaisance son lit d'herbes folles, sans pouvoir les jeter aux bras
l'un de l'autre, rêvait, à cette heure, de boire le sang chaud de Selim. Depuis deux étés, il
attendait les jeunes époux.
« Est-ce là ? » demanda le borgne.
Le jeune homme regarda devant lui. Il était arrivé au bout de l'allée.
Il aperçut la pierre tombale, et il eut un tressaillement. Maya avait
raison, cette pierre était pour elle. Cy gist… Maya… morte. Elle était
morte, le bloc avait roulé sur elle. Alors, défaillant, il s'appuya sur
la pierre glacée.
Comme elle était tiède autrefois, lorsqu'ils jasaient, assis dans un
coin, pendant les longues soirées ! Elle venait par là, elle avait
usé
un coin du bloc à poser les pieds, quand elle descendait du mur. Il
restait un peu d'elle, de son corps souple, dans cette empreinte. Et
lui pensait que toutes ces choses étaient fatales, que cette pierre se
trouvait à cette place pour qu'il pût y venir mourir, après y avoir
aimé.
Le borgne arma ses pistolets.
Mourir, mourir, cette pensée ravissait Selim. C'était donc là qu'on
l'amenait, par cette longue route blanche qui descend des collines
d'Ariha à Alep la grise. S'il avait su, il se
serait hâté davantage.
Mourir sur cette
pierre, mourir au fond de l'allée étroite, mourir dans cet air, où il
croyait sentir encore l'haleine de Maya, jamais il n'aurait
espéré
une pareille consolation dans sa douleur. Le ciel était bon. Il
attendit avec un sourire vague.
Cependant Maher avait
vu les pistolets. Jusque-là, il s'était laissé
traîner stupidement. Mais l'épouvante le saisit.
Il répéta d'une voix éperdue : « Je suis de Azzaz, je suis de
Azzaz ! » Il se
jeta
à terre, il se vautra aux pieds du policier,
suppliant, s'imaginant sans doute qu'on le prenait pour un autre.
« Qu'est-ce que ça me fait que tu sois de Azzaz ? » murmura Razzi.
Et comme le misérable, grelottant, pleurant de terreur, ne comprenant
pas pourquoi il allait mourir, tendait ses mains tremblantes, ses
pauvres mains de travailleur déformées et durcies, en disant en kurde
qu'il n'avait rien fait, qu'il fallait lui pardonner, le borgne
s'impatienta de ne pouvoir lui appliquer la gueule du pistolet sur la
tempe, tant il remuait.
« Te tairas-tu ! » cria-t-il.
Alors Maher, fou
d'épouvante, ne voulant pas mourir, se mit à pousser
des hurlements de bête qu'on égorge.
« Te tairas-tu, gredin ! » répéta le policier.
Et il lui cassa la tête. Le paysan roula comme une masse.
Son cadavre alla rebondir au pied d'un tas de planches, où il resta
plié sur lui-même. La violence de la secousse avait rompu la corde qui
l'attachait à son compagnon. Selim tomba à genoux devant
la pierre
tombale. |
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