« Marchons
encore un peu, implora-t-elle,
quelques pas seulement, jusqu'au Flamingo… Vrai, rien que
jusque-là. » Selim la reprit à la taille,
en souriant. Ils se
mirent de
nouveau à marcher. Ils ne craignaient plus les regards des
curieux ; depuis les dernières maisons, ils n'avaient pas
rencontré âme
qui vive. Ils n'en restèrent pas moins enveloppés chacun dans son
abaya. Ces abayas, presque semblables, étaient comme une cabane où
cacher leurs
amours. Ils s'y étaient cachés pendant tant de soirées heureuses !
S'ils
s'étaient promenés sans elles, ils se seraient crus
tout nus et
vulnérables
dans la traversée de ces bois lugubres. Cela les rassurait, les
grandissait, de les porter. Ils regardaient, le
visage dissimulé, la route qui s'allongeait droit
devant eux, sans éprouver cet inquiétude que les chemins sans buts font
peser sur les
tendresses humaines. Il leur
semblait
qu'ils avaient emporté leur maison avec eux, jouissant de la
promenade comme on
en jouit par la fenêtre
d'un train qui traverse la campagne, aimant
ces solitudes calmes, ces nappes de
lumière
dormante, ces bouts de nature, vagues sous le linceul de l'hiver et de
la nuit,
ce plateau calcaire qui commence là et qui, en les charmant, n'était
cependant pas assez froid pour se mettre entre
leurs deux cœurs serrés l'un contre l'autre. |