Après
le départ de son fils aîné, Kemal Raqqaoui continua à vivre
en pleine réaction contre les printemps arabes. Rien ne parut changé
dans les opinions du fameux
salon jaune. Chaque soir, les mêmes hommes vinrent y faire la même
propagande en faveur du régime baathiste, et le maître du logis
les
approuva et les aida avec autant de zèle que par le passé. Karim avait
quitté Alep le
10 mars. Quelques jours plus tard, le salon jaune
était dans l'enthousiasme. On y commentait le discours du Président
Assad qui dénonçait un complot international contre la Syrie. Ce
discours fut regardé
comme une victoire éclatante, due à
la ferme attitude du parti baath. L'état d'urgence en Syrie avait
été
instauré en 1963. Dans
les faits, cela permettait surtout la
justification légale d'arrestations arbitraires. Giustiniani déclara
qu'on
ne pouvait mieux travailler pour la cause de la légitimité du
régime.
Garo écrivit un
article superbe. L'enthousiasme n'eut plus de bornes
lorsque, quelque temps plus tard, le colonel Sakkan entra un soir chez
les Raqqaoui, en
annonçant à la société que l'armée syrienne se battait
dans Deraa. Pendant
que tout le monde s'exclamait, il alla
serrer la main à Kemal d'une façon
significative. Puis, dès qu'il se
fut assis, il entama l'éloge du président syrien qui,
disait-il, pouvait seul sauver la Syrie du désordre.
« Qu'il la
sauve donc au plus tôt, interrompit Giustiniani, et
qu'il prenne ensuite les mesures économiques qui s'imposent pour que
l'on puisse commercer, importer, exporter, sans avoir à subir les
tracas d'une administration pléthorique et tatillonne ! »
Kemal sembla
approuver vivement cette belle
réponse. Quand il eut ainsi fait preuve d'ardent baathisme, il osa dire
que le le Président Assad avait toute sa
confiance, dans cette affaire.
Ce fut alors, entre lui et le colonel, un échange de courtes
phrases
qui célébraient les excellentes intentions du président et qu'on eût
dites préparées et apprises à l'avance. Pour la première fois, à ce
point, la louange du régime entrait dans le salon
jaune. D'ailleurs,
depuis les premières réunions, le Président lui-même était
préféré au parti dont il était l'émanation historique. On le préférait
mille fois à tout autre leader syrien qui pouvait prétendre au siège si
le régime chutait. Mais
on le regardait plutôt
comme un complice que comme un ami ; encore se défiait-on de ce
complice, que l'on commençait à accuser de vouloir garder pour lui le
pouvoir sans en faire bénéficier ses soutiens. Ce soir-là, cependant,
grâce à l'envoi de la troupe à Deraa, on écouta avec faveur
les éloges
de Kemal et du colonel. |