Le
dénouement approchait. Dans les derniers jours de mars, la ville
s'agitait et nombreux étaient ceux qui pensaient qu'Alep ne pouvait
rester plus longtemps à l'écart du grand mouvement de libération qui
avait vu le jour :
« Si ces coquins osent un instant manifester contre le
régime, il faudra tous les abattre et ce sera un massacre ! » Cette
exclamation de Jisri, qu'on croyait endormi
causa une grande émotion. Giustiniani feignit de ne pas avoir
entendu ; mais tous les bourgeois approuvèrent
de la tête l'ancien marchand de savon. Ghali, qui ne craignait pas
d'applaudir tout haut, parce qu'il était riche, déclara même, en
regardant Giustiniani du coin de l'œil, que
la position n'était
plus tenable, et que toute attaque contre le régime ne pouvait
conduire qu'à la catastrophe.
Giustiniani garda
encore le silence, ce qui fut pris pour un
acquiescement. Le salon jaune, abandonnant le silence
osait pour la première fois évoquer une révolution.
« Mes amis, dit le colonel Sakkal en se levant,
Bashar peut
seul aujourd'hui protéger les personnes et les propriétés menacées…
Soyez sans crainte, j'ai pris les précautions nécessaires pour que
l'ordre continue de régner à Alep. » Le colonel avait, en effet, de
concert
avec Raqqaoui, caché,
dans un garage vide, près de la citadelle, une
provision de grenades et un nombre assez
considérable de fusils ; il
s'était en même temps assuré le concours de milices diverses sur
lesquelles il croyait pouvoir compter.
Ses paroles produisirent une très heureuse impression. Ce soir-là, en
se séparant, les paisibles bourgeois du salon jaune parlaient de
massacrer les étudiants, s'ils osaient bouger. |