L'information
selon laquelle il y avait des manifestations
importantes à Damas, à Homs et dans d'autres villes du pays, un jour,
commença à circuler. Vers sept heures du soir, la
réunion était au complet dans le salon jaune. Bien que la ville
d'Alep
restât calme, une
vague inquiétude se peignait sur la plupart des
visages. On commenta les événements au milieu de bavardages sans fin.
Kemal, légèrement
pâle comme les autres, crut devoir, par un luxe de
prudence, minimiser
l'importance des manifestations, allant jusqu'à affirmer qu'elles
étaient le fait d'agents étrangers.
« C'est un feu de paille fomenté depuis des capitales
étrangères. Tout
va rentrer dans l'ordre très vite. Cela va permettre au Président de
montrer qu'il demeure le maître du pays. »
Seul, Giustiniani, qui gardait la tête froide et connaissait le
monde, accueillit
ces paroles par un sourire. Les autres, dans la fièvre de
l'heure présente, se moquaient bien de ce qui arriverait ensuite !
Toutes les opinions sombraient. Ghali, oubliant sa prudence de
commerçant,
interrompit Kemal
avec brusquerie. Tous
crièrent :
« Ne raisonnons pas. Songeons à maintenir l'ordre. » Ces
braves gens
avaient une peur horrible des troubles. Cependant, la ville
n'avait
éprouvé qu'une légère émotion à l'annonce des événements de Damas. Il y
avait eu des rassemblements devant les portes de
l'université ; le
bruit courait aussi que quelques centaines d'étudiants avaient
quitté leurs cours et
cherchaient à organiser une manifestation. C'était tout. Aucun
trouble grave ne paraissait devoir
éclater. L'attitude que prendraient les villes et les campagnes
voisines était bien autrement inquiétante ; mais on ignorait
encore la
façon dont elles réagissaient à ces premiers troubles en Syrie. |