À
Alep, dans cette ville
close où les services de
renseignements, encore en 2008, faisaient régner le silence, les
prémices de ce qui serait appelé plus tard le Printemps arabe
étaient très sourds.
Aujourd'hui même, la voix du peuple s'y étouffe ; la
bourgeoisie y
met sa prudence, le peuple son désespoir muet,
les apparatchiks leur
fine
sournoiserie. Qu'un tyran maghrébin tombe enfin ou que des
démocraties se
fondent, la ville s'agite à peine. On dort à Alep, quand on se bat
à Deraa. Mais la
surface a beau paraître calme et indifférente, il y a, au fond,
un
travail caché très curieux à étudier. Si les actions d'éclat sont rares
dans les
rues, les intrigues dévorent les salons de la ville neuve et du
quartier Chahba. Jusqu'en
1990, le
peuple n'a pas compté. Encore
aujourd'hui, on
agit comme s'il n'était pas. Tout se passe entre bourgeoisie
d'affaire
et bourgeoisie baathiste. Quelques familles, peu
nombreuses, donnent le
ton à la politique
de
l'endroit ; ce sont des mines souterraines, des coups dans
l'ombre, une
tactique savante et peureuse qui permet à peine de faire un pas en
avant ou en
arrière tous les dix ans. Ces luttes secrètes d'hommes qui veulent
avant tout
éviter le bruit, demandent une finesse particulière, une aptitude aux
petites
choses, une patience de gens privés de passions. Et c'est ainsi que les
lenteurs orientales, dont
on se moque volontiers en occident, sont
pleines de
traîtrises, d'égorgillements sournois, de défaites et de victoires
cachées. Ces
bonshommes, surtout quand leurs intérêts sont en jeu, tuent à domicile,
à coups
de chiquenaudes, quand d'autres peuples se rassemblent en place
publique. |