Cette
conversation, où de gros chiffres partaient
comme
des missiles, enthousiasmait Fatima. Elle frétillait, elle éprouvait
une sorte
de démangeaison intérieure. Enfin elle prit une pose dévote, et, se
recueillant :
« Voyons, calculons, dit-elle. Combien
gagneras-tu ?
– Mais, dit Pierre, les appointements fixes
ne sont pas, je crois, ce qui compte.
– C'est toujours bon à prendre, dit Fatima.
– Puis, il y a tout ce que je pourrai gagner... par ailleurs. On
n'imagine pas combien les gens peuvent être généreux avec les
responsables, dit-il avec un fin sourire.
– Ça fait beaucoup.
– Oui, encore davantage. C'est ce
que gagne Abou Firas. Ce n'est pas tout. Abou Firas a de l'argent à
l'étranger. C'est interdit. Mais tout le monde sait bien que cette
interdiction ne vaut pas pour les responsables.
– Alors nous serons riches, nous allons être riches, répéta inlassablement Fatima en tapant dans ses mains comme à un mariage.
– Il faudra aussi payer notre dîme, fit
remarquer Kemal.
– N'importe, reprit Fatima, nous serons
plus riches que
beaucoup de ces messieurs… Est-ce que Giustiniani et les autres doivent
partager
le gâteau avec toi ?
– Non, non, tout sera pour nous. »
Et,
comme elle
insistait, Kemal crut qu'elle voulait lui arracher son secret. Il
fronça les
sourcils.
« Assez causé, dit-il brusquement. Il
est tard,
dormons. Ça
nous
portera malheur de faire des calculs à l'avance. Je ne tiens pas encore
la
place. Surtout, sois discrète. »
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