Elle
s'assit à côté de lui sur le divan, puis continua d'une voix
décidée :
« Et même, avant de passer la frontière, si tu veux gagner mille dollars, je peux t'en
fournir les moyens. » Il y eut
un nouveau silence.
« Si l'affaire est propre, murmura Marwan, qui avait l'air de
réfléchir. Tu sais, je ne veux pas me
fourrer dans tes manigances.
– Mais il n'y a pas de manigances, reprit Fatima, souriant des
scrupules du vieux coquin. Rien de plus simple :
tu vas
sortir tout à l'heure de ce cabinet, tu iras te cacher
chez ta mère,
et ce soir, tu
réuniras tes
amis, tu viendras
reprendre le gouvernorat. » Marwan ne put cacher une
surprise profonde. Il
ne comprenait pas.
« Je croyais, dit-il, que vous étiez victorieux.
– Oh ! je n'ai pas le temps de te mettre au courant,
répondit la
vieille avec quelque impatience. Acceptes-tu ou n'acceptes-tu pas ! ?
– Eh bien ! non, je n'accepte pas… Je veux réfléchir. Pour
mille dollars, je
serais bien bête de risquer peut-être une fortune. ».
Fatima se leva.
« À ton
aise, mon cher, dit-elle froidement. Vraiment, tu n'as
pas conscience de ta position. tu es venu chez moi me
traiter de
vieille gueuse, et lorsque j'ai la bonté de te tendre la main dans
le
trou où tu as
eu la sottise de tomber, tu fais des façons,
tu
ne veux pas être sauvé. Eh bien ! reste ici, attends que les
autorités reviennent. Moi, je m'en lave les mains. » Elle était à
la
porte.
« Mais, implora-t-il, donne-moi quelques
explications. Je ne peux
pourtant pas conclure un marché avec toi sans savoir. Depuis
deux
jours j'ignore ce qui se passe. Est-ce que, je sais, moi, si tu ne me
voles pas ?
– Tiens, tu es un niais, répondit
Fatima, que ce cri
du cœur
poussé par Marwan
fit revenir sur ses pas. Tu as grand tort de ne
pas te mettre
aveuglément de notre côté. Mille dollars, c'est une
jolie somme, et on ne la risque que pour une cause gagnée. Accepte,
je te le conseille. » Il
hésitait toujours.
« Mais quand nous voudrons prendre le gouvernorat, est-ce qu'on nous
laissera entrer tranquillement ?
– Ça, je ne sais pas, dit-elle avec un sourire. Il y aura
peut-être des
coups de fusil. » Il la regarda fixement.
« Eh ! dis donc, la petite mère, reprit-il d'une voix rauque,
tu n'as
pas au moins l'intention de me faire loger une balle dans la
tête ? » Fatima rougit. Elle pensait
justement, en effet, qu'une
balle, pendant l'attaque du gouvernorat, leur rendrait un
grand service
en les débarrassant de Marwan. Ce serait mille
dollars de gagnés.
Aussi
se fâcha-t-elle en murmurant :
« Quelle idée !… Vraiment, c'est atroce d'avoir des idées
pareilles. »
Puis, subitement calmée :
« Acceptes-tu ! ?… Tu as compris, n'est-ce pas ? »
Marwan avait
parfaitement compris. C'était un guet-apens qu'on lui proposait. Il
n'en voyait ni les raisons ni les conséquences ; ce qui le décida
à
marchander. Après avoir parlé de la démocratie comme d'une maîtresse
à
lui qu'il était désespéré de ne plus aimer, il mit en avant les risques
qu'il aurait à courir, et finit par demander deux mille dollars.
Mais Fatima
tint bon. Et ils discutèrent jusqu'à ce qu'elle eût
promis de lui procurer, à sa rentrée en Syrie, une place où il
n'aurait rien à faire, et qui lui rapporterait gros. Alors le marché
fut conclu. Elle lui fit endosser l'uniforme de garde du Parti qu'elle
avait apporté. Il devait se retirer paisiblement chez Khale Didi, puis
amener, vers minuit, sur la place de la citadelle, tous les rebelles
qu'il rencontrerait, en leur affirmant que le gouvernorat était
vide, qu'il suffirait d'en pousser la porte pour s'en emparer.
Marwan
demanda des arrhes, et reçut deux cents dollars. Elle s'engagea à lui
compter les huit cents autres dollars le lendemain.
Les Raqqaoui
risquaient là les derniers sous dont ils pouvaient disposer.
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