Il y eut brusquement un
grand silence. À une des fenêtres de l'école, la tête blafarde d'Abou Firas apparut.
Il parlait, il faisait des gestes.
« Rentrez, fermez les stores, crièrent les manifestants furieusement ; vous
allez vous faire tuer. » Les stores se fermèrent en toute hâte, et l'on
n'entendit plus que le bruit des véhicules des soldats qui approchaient.
Une minute s'écoula, interminable. La troupe avait disparu ; elle était
cachée dans un pli de terrain, et bientôt les manifestants aperçurent,
du
côté de la plaine, au ras du sol, des véhicules blindés légers qui
vrombissaient, roulant sous le soleil levant, comme une colonne de gros
insectes venimeux. Selim, à ce moment, dans la fièvre qui
le secouait, crut voir passer devant lui l'image du policier dont le
sang lui avait taché les mains ; il savait, par les récits de ses
compagnons, que Razzi n'était pas mort, qu'il avait simplement un œil
crevé ; et il le distinguait nettement, avec son orbite vide, saignant,
horrible. La pensée aiguë de cet homme, auquel il n'avait plus songé
depuis son départ d'Alep, lui fut insupportable. Il craignit
d'avoir peur. Il serrait violemment son fusil, les yeux voilés par un
brouillard, brûlant de décharger son arme, de chasser l'image du borgne
à coups de feu. Les blindés montaient toujours, lentement.
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