Combien
de fois n'ai-je pas monté cette rue de Florence. Il y a pour
tous les quartiers de Paris non seulement une personnalité constituée,
mais cette personnalité a une histoire comme nous. Il n'y a pas bien
longtemps et pourtant tout date. Déjà. Le propre de l'histoire, c'est
ce changement même, cette génération et corruption, cette abolition
constante, cette révolution perpétuelle. Cette mort. Il n'y a que
quelques années, huit ans, dix ans, et quelle méconnaissance déjà,
quelle méconnaissance immobilière. – Le vieux Paris n'est plus (la
forme d'une ville Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un
mortel) ;
On demeurait alors dans ce haut de Paris où personne aujourd'hui ne
demeure plus. On bâtit tant de maisons partout, boulevard Raspail.
M. Salomon Reinach devait demeurer encore 36 ou 38 rue de
Lisbonne. Ou un
autre numéro. Mais enfin Bernard-Lazare y passait, y pouvait passer
comme en voisin, en passant. Le quartier Saint-Lazare. La rue de Rome
et la rue de Constantinople. Tout le quartier de l'Europe. Toute
l'Europe. Des résonances de noms qui secrètement flattaient leur besoin
de voyager, leur aisance à voyager, leur résidence européenne. Un
quartier de gare qui flattait leur besoin de chemin de fer, leur goût
du chemin de fer, leur aisance en chemin de fer. Tout le monde a
déménagé. Quelques-uns dans la mort. Et même beaucoup. Zola demeurait
rue de Bruxelles, 81 ou 81 bis ou 83 rue de Bruxelles. Première
audience. – Audience du 7 février. – Vous vous appelez Émile
Zola ? –
Oui, monsieur. – Quelle est votre profession ? – Homme
de lettres. – Quel
est votre âge ? – Cinquante-huit ans. – Quel est votre
domicile ? – 21 bis, rue de Bruxelles. M. Ludovic Halévy
ne demeurait-il pas rue de
Douai, qui doit être dans le même quartier. 22, rue de Douai, et encore
aujourd'hui 62, rue de Rome, 155, boulevard Haussmann, c'étaient des
adresses de ce temps-là. Dreyfus même était de ce quartier. Labori seul
demeure encore 41 ou 45 rue Condorcet. On me dit qu'il vient seulement
d'émigrer 12, rue Pigalle, Paris IXème. Toute une population, tout un
peuple demeurait ainsi sur les hauteurs de Paris, dans le flanc des
hauteurs de Paris, dans ce haut Paris serré, tout un peuple, amis,
ennemis, qui se connaissaient, ne se connaissaient pas, mais se
sentaient, se savaient voisins de campagne dans cet immense Paris.
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Les
jeux olympiques de Rio sont ouverts. Les contrôles anti-dopage
seront particulièrement serrés, au moins autant que les mesures de
sécurité, nous dit-on. Me vient alors une question : un athlète
dopé
est-il
encore un athlète ? Assurément. Que l'on dope un jeune homme ou
une
jeune femme sans entraînement ni technique et, quelle que soit la
drogue et le dosage qui leur seront administrés, peu de chance qu'ils
puissent
prendre place dans une compétition sportive internationale. En est-il
alors de même d'une drogue qui abolit le jugement et qui, en
conséquence,
autorise celui qui la prend à commettre des actes que la morale commune
réprouve, tels foncer dans une foule de femmes et d'enfants avec un
camion ou assassiner un vieillard inoffensif à l'arme blanche en
filmant son crime. Oui, si l'on considère que la drogue dite du
terroriste, c'est-à-dire le captagon, est d'usage courant chez les
hommes des pays du golfe et que pour autant ces pays ne sont pas le
théâtre de crimes de masse ritualisés, en tout cas, pas à la
hauteur
de la quantité de drogue consommée. L'acte terroriste demanderait donc
un certain
entraînement, comme pour les athlètes des jeux olympiques. Cet
entrainement est fourni par des prédicateurs qui vont convaincre a
priori que l'abject est licite et qu'il plaît à Dieu. La drogue agirait
donc comme un accélérateur, ou un facilitateur, ou encore comme un
inhibiteur de morale profane pour que puisse s'épanouir librement une
autre morale, religieuse voire mystique, qui obéirait à d'autres
règles, celles-là même qui ont conduit Abraham à accepter l'idée de
sacrifier
son fils. Non, si l'on considère que les sportifs de haut niveau
ont
depuis leur plus jeune âge des dispositions à devenir
sportifs de haut niveau. Ainsi, à l'évidence, l'auteur de ces lignes
aurait pu être soumis à un entraînement physique
intensif avec les
meilleurs entraîneurs qu'il ne serait pourtant pas parvenu jusqu'aux
jeux olympiques. C'est ainsi. Il n'en va pas de même chez ces jeunes
qui n'avaient pas plus de prédestination que ce même auteur à commettre
des actes aussi tristement épouvantables, sauf, bien sûr, à admettre
des théories racistes qui sont d'un autre âge. Et c'est sans doute ce
qui est le plus terrifiant : le caractère indifférencié de ceux qui
font de leur crime une offrande. Et c'est cela qu'il faut parvenir à
penser. |