Diégèse | |||||||||
mercredi 17 août 2016 | 2016 | ||||||||
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10 août | #Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 - | ||||||||
L'amitié
qu'il avait pour ces cahiers naissants, pour moi, avait
quelque chose de désarmant. C'était toute la sollicitude, toute la
tendresse, tout le renseignement, tout l'avertissement d'un grand frère
aîné qui en a beaucoup vu. Qui a été très éprouvé par la vie. Par
l'existence. Dès lors il était suspect. Dès lors il était isolé. L'honneur d'avoir fait l'affaire Dreyfus lui collait aux épaules comme une chape inexpiable. Suspect surtout, solitaire surtout dans son propre parti. Pas un Journal, pas une revue n'acceptait, ne tolérait sa signature. On eût pris peut-être à la rigueur un peu de sa copie, en la maquillant, en l'avachissant, en la sucrant. Surtout en enlevant, en effaçant cette diablesse de signature. Il revenait naturellement vers nous. Il n'y avait plus qu'aux cahiers qu'il pût parler, écrire, publier, – causer même. Quand on faisait des pourparlers pour créer un grand quotidien (dans ce temps-là on pourparlait toujours pour créer un grand nouveau quotidien) et qu'on demandait de l'argent aux Juifs1 (ils en donnaient alors, ils s'en laissaient arracher beaucoup trop, M. Jaurès en sait quelque chose) les capitalistes, les commanditaires juifs n'y mettaient guère qu'une condition : c'était que Bernard-Lazare n'y écrivît pas. On s'organisait fort proprement de toutes parts pour qu'il mourût tout tranquillement de faim. Il revenait vers nous comme par sa pente naturelle. Il était comme sacré, c'est-à-dire qu'on le comptait pour son compte, on le mesurait à sa mesure, on le prisait à sa valeur et en même temps et surtout on ne voulait plus entendre parler de lui. Tout le monde le taisait. Ceux qu'il avait sauvés le taisaient plus obstinément, plus silencieusement que tous, l'enfonçaient dans un silence plus sourd, plus obstiné. Quelques-uns, dans la criminelle pénombre de l'arrière-pensée, commençaient à laisser se penser en eux qu'il était peut-être bien heureux, qu'il mourait peut-être juste à temps pour sa gloire. Quelques-uns le pensaient peut-être, quelques-uns le pensaient sans doute. Le fait est, il faut lui rendre cette justice, qu'il mourait opportunément ; commodément pour beaucoup. Presque pour tout le monde. Quelques personnes qu'il avait fait abonner aux cahiers pendant la crise de l'affaire Dreyfus attendaient impatiemment qu'il mourût pour nous envoyer leur désabonnement, se débarrasser de cet énorme tribut de vingt francs par an qu'il leur avait imposé pendant l'affaire Dreyfus, comme on disait déjà. Nous reçûmes le désabonnement de M. Louis Louis-Dreyfus dans la quinzaine ou dans le mois, peut-être dans la semaine qui suivit la mort de Bernard-Lazare. |
Alors
que l'espace médiatique du mois de juillet 2016 a été saturé par les
attentats, le mois d'août oscille entre des Jeux olympiques poussifs et
l'interdiction ou non des costumes de bain compatibles avec l'islam
rigoriste sur les plages françaises. On avait pensé à sécuriser les
plages en armant les nageurs-sauveteurs, mais ils n'étaient pas armés
pour affronter le bain ou le non-bain de femmes habillées de la tête au
pied. Alors, sur les réseaux sociaux, sur les plages corses et dans les
médias, on s'écharpe sur le bien fondé ou non de l'interdiction du
« burkini » - marque déposée. Il y a même eu des
échauffourées sérieuses
en Corse et la presse, même la presse supposée sérieuse, a évoqué alors
une rixe « inter communautaire ». C'est ainsi que l'on a
appris,
ébahis, par exemple sur France-Télévision et dans le journalLe Monde,
que les Corses étaient une « communauté » et que la Corse était ainsi
peuplée de « communautés » corses, de
« communautés » musulmanes - lire
arabes -. On n'a pas su si les touristes non corses et non
musulmans
constituaient en Corse une autre de ces « communautés ».Très
certainement... Tout cela serait risible s'il ne s'agissait pas d'une violence symbolique sociale dure et que celle-ci s'exprime, comme souvent, en prenant le corps des femmes en otage. Mais la prise d'otage n'est pas celle que l'on voudrait nous faire croire, car, ce n'est pas le port du « burkini » qui l'opère, mais bien le traitement médiatique et politique du port de ce costume de bain. Alors, pour s'échapper de débats viciés et manipulateurs, revenons aux questions culturelles sérieuses : qu'en est-il du corps ? Qu'est-ce que l'on fait au corps ? Qu'est-ce que l'on fait dire au corps ? L'épopée de la villégiature estivale, que ce soit celle des grands hôtels de la côte d'azur, ou celle des bains de mer revigorants de plages plus septentrionales, peut aussi se lire via l'aventure des corps et des costumes de bain. Que peut-on montrer ou ne pas montrer ? Bien sûr, la question se fait plus pressante lorsqu'il s'agit des femmes, sans doute parce que les hommes ont à travers le temps le goût de fétichiser n'importe quelle partie du corps féminin. À la fin du 19ème siècle, sur les plages du Touquet dont le maire vient d'interdire le « burkini », les femmes gardaient souvent leur chapeau ou leur charlotte, mais il s'agissait surtout que la femme ne montrât pas ses genoux. Puis, peu à peu, le costume s'est fait plus léger, jusqu'au bikini des années 1960, alors révolutionnaire. C'est ainsi que l'on a cru que plus le temps passerait, plus les femmes sur les plages seraient dénudées. Il n'en est évidemment rien, car, sur les plages, il y a aussi des hommes. |
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Charles Péguy - Notre Jeunesse - | Tout petit petit burkini - Péguy-Pasolini #15 - Diégèse 2016 | ||||||||
1. Il convient ici de rappeler que Péguy écrit Notre jeunesse en 1910, avant de mourir dans les premiers combats de 1914. Il a été l'un des premiers défenseurs de Dreyfus, et Notre jeunesse, pamphlet politique qui oppose la mystique à la politique se fonde sur le souvenir des luttes pour Dreyfus. Il ne faudrait donc pas lire le texte de Péguy à la lumière des événements qui se sont déroulés lors de la montée du fascisme et du nazisme et de l'antisémitisme des années 1930, de la shoah et de la création de l'État hébreu. Ce serait évidemment un contresens. | |||||||||
17 août |
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