Tout ce qu'il faut pour mourir
à quarante ans. Pas un muscle pas un nerf qui ne fût tendu pour une
mission secrète, perpétuellement vibré pour la mission. Jamais homme ne
se tint à ce point chef de sa race1 et de son peuple, responsable pour sa race et pour son peuple. Un être perpétuellement
tendu. Une arrière-tension, une sous-tension inexpiable. Pas un
sentiment, pas une pensée, pas l'ombre d'une passion qui ne fût tendue,
qui ne fût commandée par un commandement vieux de cinquante siècles,
par le commandement tombé il y a cinquante siècles ; toute une race,
tout un monde sur les épaules, une race, un monde de cinquante siècles
sur les épaules voûtées ; sur les épaules rondes, sur les épaules
lourdes ; un cœur élevé de feu, du feu de sa race, consumé du feu de
son peuple ; le feu au cœur, une tête ardente, et le charbon ardent sur
la lèvre prophète.
Quand je viens en relation avec quelqu'un de nos anciens adversaires
(c'est un phénomène de plus en plus fréquent, inévitable, désirable
même, car il faut bien qu'un peuple se refasse, et se refasse de toutes
ses forces), je commence par lui dire : Vous ne nous connaissez pas.
Vous avez le droit de ne pas nous connaître. Nos politiciens ont fait
une telle Foire sur la Place que vous ne pouviez pas voir ce qui se
passait dans la maison. Nos politiciens n'ont pas dévoré seulement,
absorbé notre mystique. Ils la masquaient complètement, au moins au
public, à ce qu'on nomme le grand public. Vous n'étiez pas abonné aux
cahiers. C'est tout naturel. Vous aviez autre chose à faire. Vous ne
lisiez pas les cahiers. Mais cette mystique dont nous parlons, nous ne
l'inventons pas aujourd'hui pour les besoins de la cause, nous ne
l'improvisons pas aujourd'hui. Elle fut pendant dix et quinze ans la mystique même de ces cahiers en toutes
ces matières et nous l'avons assez souvent manifestée. La seule
différence qu'il y avait, c'est que masqués par les politiciens nos
cahiers ne parvenaient point alors auprès du grand public et
qu'aujourd'hui, dans le désarroi des politiciens, et sans doute pour
une autre cause, et au moins même pour deux, ils y parviennent. La
seule différence qu'il y a, c'est qu'on ne nous lisait point ; et que
l'on commence à nous lire.
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Si l'on revient à la photographie de Paul VI
qui avait retenu
l'attention de Pasolini, comme introduction à un texte sur la perte du
pouvoir temporel de l'Église, on peut y voir une allusion - et
c'est
certainement cela dont il s'agit - au pouvoir limité des chefs
sioux
dans leurs réserves. La parure de plumes est toujours aussi flamboyante
et impressionnante, mais le pouvoir qu'elle symbolisait s'est évanoui.
Le
signifiant n'a pas bougé quand le signifié s'est singulièrement
dégradé. Le Vatican serait donc devenu une « réserve
d'indiens » et la
photographie tirerait son intérêt de ce « retour du
littéral » : elle dit ce qu'elle montre et, comme le dirait
Roland Barthes, « la
photographie dit tout ». Alors, que montre, qui fait rire, la
photographie des dirigeants qui apparaissent
grimés ou déguisés sur des photographies pourtant officielles ?
Car le
rire ou le sourire que ces photographies provoquent est différent de
ce que suggèrent celles qui, volées ou non, montrent des dirigeants,
parfois les mêmes,
dans des situations vernaculaires. Ainsi, les photographies
de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, à la plage du Cap
Nègre au début de son quinquennat ne font pas rire. Elles peuvent
laisser indifférent, susciter de la curiosité pour la plastique de
Carla Bruni ou pour les modalités des retouches effectuées ou non sur
les abdominaux du Président, quitte à informer les retoucheurs que les
muscles intercostaux ne se situent pas au niveau de l'abdomen... mais
elles n'ont pas cette propriété
sémiologique ténue et incertaine de faire rire, ni même de faire
sourire.
C'est que ces photographies disent exactement ce qu'elles voulaient
dire. Or, s'agissant de la photographie du pape ou de celles des
dirigeants en costumes divers, ce qui est intéressant, c'est justement
qu'elles ne disent pas ce qu'elles voulaient dire. Ainsi, par exemple,
la photographie de François Hollande au Kazakhstan
a été, logiquement et légitimement publiée sur le site de la présidence
Kazakh comme témoignage de l'amitié entre les deux peuples et du
traitement très particulier qui était réservé au Président français...
avant d'être retirée précipitamment quelques heures plus tard.
Ce n'est pas une photo volée. Son intention n'était pas de susciter de
la moquerie. Il y a donc eu distorsion sémantique entre l'intention du
photographe, d'une part, et la perception et l'interprétation de la
photographie, d'autre part. Cette distorsion est en partie
interculturelle, mais « pas que ». Il y a une part d'universel qui relève du burlesque.
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