Diégèse




lundi 29 août 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Et d'autre part il est certain que nous sommes les seuls, qu'il n'y a que nous qui depuis quinze ans ayons tenu rigoureusement, impeccablement, infailliblement cette mystique. Là était notre force. Et aujourd'hui, obscure avec nous, ignorée avec nous, conservée avec nous, par nos soins, aujourd'hui par nos soins, avec nous cette mystique naturellement apparaît. Elle était notre force, à nous autres faibles, à nous autres pauvres. La mystique est la force invincible des faibles.
Mais toute la différence qu'il y a, c'est qu'elle était inconnue ; et qu'aujourd'hui, avec nous, en nous elle est connue.
C'est pour cela que je veux bien qu'il y ait une apologie pour notre passé, et que je la trouve très bien faite, pourvu qu'il soit bien entendu seulement qu'il ne s'agit pas de notre passé, à nous, mais du passé des autres. Mon passé n'a besoin d'aucune apologie. Autrement il y aurait, il se produirait un effet, une illusion d'optique, extrêmement injurieuse pour nous ; et injuste ; et sotte. Un certain nombre, un petit nombre de dreyfusards, le dessus, ont fait, ont subi des démagogies, toute une démagogie, toute une politique dreyfusiste. Un certain nombre, un très grand nombre d'autres, nous les dessous, les profondeurs, les sots, nous avons tout fait, tout exposé pour demeurer fidèles à notre mystique, pour nous opposer à l'établissement de la domination de cette politique. C'est nous qui comptons. C'est nous qui représentons. C'est nous qui témoignons. C'est nous qui sommes la preuve. Nous voulons bien que les autres fassent des défenses et des apologies, des remords, des regrets et des soucis, qu'ils fassent des repentirs et des pénitences, laïques, qu'ils demandent et qu'ils obtiennent des absolutions, laïques, civiques, civiles et obligatoires. Nous leur en donnerons même les formules. Mais nous demandons qu'ils ne les demandent pas et ne les obtiennent pas pour nous ; qu'ils ne les exercent pas pour nous ; et deuxièmement qu'ils ne les demandent pas et ne les obtiennent pas et ne les exercent pas pour l'affaire Dreyfus elle-même et pour le dreyfusisme. Je ne veux point d'une apologie pour Péguy, ni pour le passé de Péguy, ni d'une apologie pour les cahiers ni pour le passé des cahiers. Je ne veux pas qu'on me défende. Je n'ai pas besoin d'être défendu. Je ne suis accusé de rien. Je ne redoute rien tant que ceci : qu'on me défende. Voilà tout le désaveu que j'ai le courage de m'infliger.

Bergson commence Le Rire. Essai sur la signification du comique par trois considérations qu'il juge fondamentales : « il n'y a point de comique en dehors de ce qui est proprement humain » ; « l'insensibilité qui accompagne d'ordinaire le rire. (...) Le rire n'a pas de plus grand ennemi que l'émotion. ». La troisième considération est précisément l'effet de groupe évoqué plus avant. Il est possible d'appliquer ces trois critères à la photographie du pape Paul VI, comme à celle de François Hollande. Humain : évidemment, le pape souriant, heureux de sa coiffure, semble beaucoup plus humain, et donc proche de celui qui regarde la photographie que lorsqu'il est en grand apparat dans la basilique Saint-Pierre ou au balcon de sa résidence romaine. Le Président de la République, avec sa toque de fourrure - car on disait « toque » avant que la mode ne remît la chapka au goût du jour - semble aussi profondément humain. Il est visiblement fatigué. Sa barbe transparaît sous la peau du visage. L'ébauche de sourire semble forcée, embarrassée, presque contrainte. L'homme apparaît d'avance piégé par l'image du Président qui va être prise. Ce temps de l'empathie est le premier temps. Puis vient le second temps du regard qui, en effet, comme le suggère Bergson s'éloigne de ce qui pourrait relever de l'empathie et va souligner le caractère incongru de la scène, second temps qui va mettre l'image à distance, un peu comme le presbyte tend les bras pour mieux voir, et c'est à ce moment que va naître le rire ou le sourire. Certes, on rira plus franchement si l'on se passe du premier mouvement. Ce premier temps, c'est celui où je regarde l'autre comme moi-même. Le second, celui où je regarde l'autre, non plus seul mais avec les autres, et je regarde l'autre comme autre et non plus comme mon semblable. C'est d'ailleurs le sens du reproche que l'on fait aux enfants qui rient de la mésaventure d'un de leur camarade : « ne ris pas, cela pourrait t'arriver ! ». Le rire sera plus franc, sans remord, si l'on est bien persuadé que cette mésaventure ne pourrait nous arriver. C'est aussi en cela que les photographies de chefs d'État grimés sont drôles, c'est qu'elles désignent d'emblée des personnages qui nous sont tout autres et que leur notoriété permet d'envisager de partager le rire très largement. Ainsi, et pour s'éloigner de quelques pas de Bergson, il me semble que le rire est toujours une émotion contrariée, qu'il est toujours second, comme si l'émotion venait ouvrir la possibilité du rire et que le rire viendrait clore l'émotion. Quand on rit, on ne sait jamais s'il faut en rire ou en pleurer. Il y a toujours un clown triste dans le clown.
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Péguy-Pasolini #16 - Diégèse 2016










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