Diégèse | |||||||||
lundi 19 décembre 2016 | 2016 | ||||||||
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Que permet la
société permissive ? Elle permet la prolifération du couple
hétérosexuel. C'est
beaucoup et c'est juste. Seulement il faut voir comment cela s'effectue
concrètement. Premier point, cela s'effectue en fonction de l'hédonisme
de la
consommation (pour employer des mots « clairs » à peine mieux
que
des
sigles) : ce qui fait ressortir à l'extrême le caractère social du
coït. De
plus, le coït est obligatoire : qui n'est pas dans un couple n'est
pas
un homme
moderne, comme qui ne boit pas Petrus ou Cynar. Et puis cette société
impose
une précocité génératrice de névroses. Gamins et gamines à peine
pubères ont — dans l'espace obligé d'une permissivité qui rend la
normalité
paroxystique —
une expérience du sexe qui leur enlève toute exaltation dans ce
domaine, toute
possibilité de sublimation dans les autres. On pourrait dire que les
sociétés
répressives avaient besoin (comme le disait un slogan fasciste
ridicule) de
soldats, ainsi que de saints et d'artistes — tandis que la société
permissive
n'a besoin que de consommateurs. De toute façon, en dehors de ce
« quelque
chose » que la société permissive permet, tout est replongé
— à la
grande honte
des idéaux progressistes et de la lutte des gens concernés — dans
l'enfer du
non permis, du tabou qui suscite rire et haine. On peut continuer à
parler des
« différents » avec la même brutalité qu'à l'époque
cléricofasciste :
sauf que,
hélas, cette brutalité est accrue, en raison de l'accroissement de la
permissivité à l'égard du coït normal. J'ai déjà eu l'occasion de dire
que, en
face d'une certaine élite de personnes tolérantes (qui ainsi flattent
leur
conscience démocratique), il y a en Italie cinquante millions de
personnes
intolérantes et prêtes au lynchage. Ce qui n'a jamais été le cas dans
l'histoire de l'Italie. Mais, aujourd'hui, j'ajoute que ces élites de
personnes
tolérantes ont clairement démontré que leur tolérance n'était que
verbale et
qu'en réalité l'idée d'un ghetto, où l'on relèguerait les
« différents » (avec
qui feraient-ils l'amour ?) et où on les regarderait comme des
« monstres »
tolérés, à propos desquels les plaisanteries les plus vulgaires
seraient
autorisées, les satisfait pleinement. Voyez le cas de Maria Schneider
envers
qui toute la presse italienne s'est comportée de la façon la plus
effrontément
canaille et la plus étourdiment fasciste. Mais il y a une autre série de considérations — qui me tiennent encore plus à cœur — nées de l'amère méditation de ces dernières semaines. J'ai dit qu'être inconditionnellement favorable à l'avortement garantit un brevet de rationalité, d'intelligence éclairée et de modernité, etc. Cela garantit, dans ce même cas, un certain manque « supérieur » de sentiment : ce qui comble de satisfaction les intellectuels (appelons-les ainsi) pseudo-progressistes (mais certainement pas les communistes sérieux et les radicaux). Du type Dino Origlia, pour citer un nom. L'affirmation de ce manque « supérieur » de sentiment à propos de l'avortement, la plus grande partie de mes adversaires l'ont, sans vergogne, hystériquement et sans le vouloir, proclamée à mon égard. Une seule intervention à ce sujet a été correcte et réellement rationnelle : celle d'Italo Calvino (Corriere della sera, 9-2-1975) C'est de celle-là que je voudrais discuter. |
Regarder
ailleurs... C'est aussi s'extraire du temps instantané
qui est celui de la consommation, et qui est donc aussi celui de la
consommation de l'information, de la consommation des images de
l'information, pour considérer la situation dans le temps plus long de
l'histoire, le temps de la construction des imaginaires des peuples par
l'histoire. Restons en Syrie, restons à Alep. L'information sur la Syrie est construite sur un « maintenant », qui est le temps du chaos et sur un « avant » qui serait le temps de Palmyre, de la citadelle d'Alep, des souks débordant de lumières et de tapis orientaux, le temps de la Grande mosquée des Omeyyades et de son minaret carré. Si l'on s'en tient, donc, à l'imaginaire mis en scène, il y aurait aujourd'hui la Syrie hostile, si différente de la Syrie d'hier, c'est-à-dire la Syrie touristique. Il y avait, avant, une Syrie consommable et aujourd'hui une Syrie impropre à la consommation. Bien sûr, il y a les gens, les Syriens, vaguement classés dans la catégorie « Arabe » de l'imaginaire occidental. C'est une catégorie remplie d'oxymores où le meilleur - l'orientalisme - côtoie le pire - le fondamentalisme . Les populations syrienne sous les bombes doivent donc provisoirement être extraites de cette catégorie devenue non opératoire pour devenir des « rebelles » ou des « innocents ». Nul doute que, dès lors que tout cela sera terminé et que le temps des contrats avec Eiffage ou Bouygues sera venu pour la reconstruction, les Syriens reprendront dans les médias leur catégorisation « Arabe », ce qui, en français courant, n'est jamais très loin de « bougnoule ». Je lis aussi que la conscience occidentale aurait sombré face au martyre d'Alep. C'est une habile façon de dédouaner les occidentaux de la situation qui s'est construite en Syrie, non pas seulement depuis 2011, mais au moins depuis les accords Sykes-Picot après la première guerre mondiale. Pour qui se promenait en Syrie, et à Alep en particulier, il y a seulement une petite trentaine d'années, pour peu qu'il voulût bien abandonner ses préjugés et son goût culturel de l'Orient, ce qui le frappait, c'était que la Syrie était profondément un pays méditerranéen, avec des paysages méditerranéens, un mode de vie méditerranéen, une culture méditerranéenne. C'était le prolongement de la Grèce, comme la Grèce était le prolongement de la Syrie. Et pour qui faisait le voyage en automobile depuis Thessalonique jusqu'à Palmyre en passant par Éphèse, celui-là ressentait surtout la continuité des paysages, la continuité des cultures, et pas seulement parce qu'il voyait des temples hellénistiques. Pour autant, on avait appris à considérer autrement la Syrie et la Grèce, la Grèce étant européenne et la Syrie... suppôt de Satan. Cette catégorie implicite a suffi pour qu'on la laisse vivoter avec sa dictature, ses pénuries, ses inégalités criantes et que l'on étouffe systématiquement, génération après génération, tous les espoirs de liberté de son peuple. S'il y a une culpabilité de l'occident à entretenir et à réparer, elle ne doit pas dater d'aujourd'hui seulement, mais englober le siècle, car il y a bien un siècle déjà, de cette période dite moderne, que l'injustice épouvantable faite aux Syriens demeure. |
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Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires - Cœur | Regarder ailleurs - Péguy-Pasolini #24 - Texte continu | ||||||||
19 décembre |
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